L'Ile du jour d'avant
l’écoute.
À peine entré dans le Pacifique, en revanche, les habitudes de Byrd avaient changé. Après la halte à Mas Afuera, Roberto l’avait vu s’éloigner chaque matin de sept heures à huit heures, alors qu’avant il était d’usage qu’ils se retrouvassent pour un petit déjeuner. Par contre, durant toute la période où le navire avait mis le cap au nord, jusqu’à l’île des tortues, Byrd s’éloignait autour de six heures du matin. À peine le navire avait-il de nouveau dirigé sa proue vers l’ouest, il avait avancé son lever vers les cinq heures, et Roberto entendait un des assistants qui venait le réveiller. Puis, graduellement il s’était éveillé à quatre heures, à trois heures, à deux heures.
Roberto était en mesure de le contrôler parce qu’il avait emporté une petite horloge de sable. Au couchant, tel un musard, il passait chez le timonier où, à côté du compas de route qui flottait dans son huile de baleine, il y avait une tablette sur laquelle le pilote, en partant des derniers relèvements, marquait la position et l’heure présumée. Roberto prenait bonne note puis il allait renverser son horloge et revenait le faire quand il lui semblait que l’heure approchait de sa fin. Ainsi, fût-ce en retardant après le souper, il pouvait toujours calculer l’heure avec quelque certitude. De cette façon, il s’était convaincu que Byrd s’éloignait chaque jour un peu plus tôt, et, à ce rythme, un beau jour il s’éloignerait sur le minuit.
Après ce que Roberto avait appris et de Mazarin et de Colbert et de ses hommes, il n’en fallait pas beaucoup pour déduire que les fugues de Byrd correspondaient au passage successif des méridiens. C’était donc comme si, depuis l’Europe, quelqu’un, chaque jour au midi des Canaries, ou à une heure fixe d’un autre lieu, lançait un signal que Byrd allait recevoir quelque part. Connaissant l’heure à bord de l’Amaryllis , Byrd était ainsi en mesure de connaître sa propre longitude !
Il eût suffi de suivre Byrd quand il s’éloignait. Mais ce n’était pas facile. Tant qu’il disparut le matin, il s’avéra impossible de le suivre inaperçu. Lorsque Byrd avait commencé à s’absenter aux heures obscures, Roberto l’entendait très bien s’éloigner, mais il ne pouvait pas aussitôt lui emboîter le pas. Il attendait donc un peu, et puis il s’agissait de retrouver ses traces. Tout effort s’était révélé vain. Je ne parle pas des nombreuses fois où, tentant un chemin dans le noir, Roberto finissait au milieu des hamacs de l’équipage, ou trébuchait sur les pèlerins ; mais à maintes reprises il était tombé sur quelqu’un qui, à cette heure-là, aurait dû dormir : quelqu’un donc veillait toujours.
Quand il rencontrait un de ces espions, Roberto touchait un mot de son insomnie coutumière et montait sur le tillac, réussissant à ne pas éveiller de soupçons. Depuis beau temps il s’était fait la réputation d’un extravagant qui rêvait la nuit les yeux ouverts et passait le jour les yeux fermés. Mais ensuite, lorsqu’il se retrouvait sur le tillac, où il rencontrait le matelot de quart avec qui échanger quelques mots, si le hasard voulait qu’ils se comprissent, la nuit était alors perdue.
Cela explique donc pourquoi les mois passaient : Roberto était près de découvrir le mystère de l’Amaryllis, mais il n’avait pas encore eu moyen de fourrer le nez où il aurait voulu.
Par ailleurs, dès le début il avait commencé de chercher à pousser Byrd à quelques confidences. Et il avait excogité une méthode que Mazarin n’avait pas été capable de lui suggérer. Pour satisfaire sa curiosité, le jour il posait des questions au chevalier, qui ne savait pas lui répondre. Il lui faisait alors remarquer que ce qu’il lui demandait était d’importance majeure s’il voulait vraiment trouver Escondida. Ainsi le soir le chevalier posait les mêmes questions au docteur.
Une nuit, sur le pont, ils observaient les étoiles et le docteur avait relevé qu’il devait être minuit. Le chevalier, instruit par Roberto quelques heures auparavant, avait dit :
— Dieu sait l’heure qu’il est en ce moment à Malte…
— Facile, avait laissé échapper le docteur, qui s’était corrigé. C’est-à-dire très difficile, mon ami.
Le chevalier s’était étonné que l’on ne pût le déduire du calcul des méridiens :
— Le soleil ne met-il pas une heure à
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