L'Ile du jour d'avant

suis un profane, de ces choses, je sais bien peu.
    — Il ne reste donc plus qu’à chercher une méthode plus sûre, avait alors suggéré Roberto.
    — Vous savez ce qu’a dit votre Vespucci ? Il a dit : quant à la longitude, c’est chose fort ardue que de rares personnes entendent, celles qui savent s’abstenir de dormir pour observer la conjonction de la lune et des planètes. Et il a dit : c’est pour la détermination des longitudes que j’ai souvent sacrifié le sommeil et abrégé ma vie de dix ans… Temps perdu, je vous le dis. But now behold the skie is over cast with cloudes ; wherfore let us haste to our lodging, and ende our talke .

    Des soirs plus tard, il avait demandé au docteur de lui indiquer l’Étoile Polaire. Celui-ci avait souri : de cet hémisphère, on ne pouvait la voir, il fallait se référer à d’autres étoiles fixes. « Une autre défaite pour les chercheurs de longitudes, avait-il commenté. Ainsi ne peuvent-ils même pas recourir aux variations de l’aiguille magnétique. »
    Puis, sollicité par ses amis, il avait encore rompu le pain de son savoir.
    — L’aiguille du compas de route devrait toujours viser le nord, et donc la direction de l’Étoile Polaire. Et pourtant, sauf sur le méridien de l’île du Fer, dans tous les autres lieux elle s’écarte de l’exact pôle de la Tramontane, s’orientant tantôt du côté du levant tantôt de celui du ponant, selon les climats et les latitudes. Si, par exemple, vous vous acheminez des Canaries vers Gibraltar, n’importe quel matelot sait que l’aiguille s’oriente de plus de six degrés de rhumb vers le Maestral, et de Malte à Tripoli de Barbarie il y a une variation de deux tiers de rhumb à gauche – et vous savez parfaitement que le rhumb est une aire de vent. Or ces déviations, a-t-on dit, suivent des règles fixes selon les différentes longitudes. Donc, avec une bonne table des déviations, vous pourriez savoir où vous vous trouvez. Mais…
    — Encore un mais ?
    — Malheureusement oui. Il n’existe pas de bonnes tables de déclinaison de l’aiguille magnétique, qui les a essayées a échoué, et il y a de bonnes raisons de supposer que l’aiguille ne varie pas de manière uniforme selon la longitude. Par ailleurs, ces variations sont très lentes, et sur mer il est difficile de les suivre, si toutefois le navire ne tangue pas à en altérer l’équilibre de l’aiguille. Qui se fie à l’aiguille est un fou.
    Un autre soir à souper, le chevalier, qui ruminait une demi-phrase lancée mine de rien par Roberto, avait dit que peut-être Escondida était une des Îles de Salomon, et il avait demandé s’ils en étaient proches.
    Byrd avait haussé les épaules :
    — Les Îles de Salomon ! Ça n’existe pas !
    — Le capitaine Draco n’y est-il pas arrivé ? demandait le chevalier.
    — Non-sens ! Drake a découvert New Albion, d’un tout autre côté.
    — À Casal, les Espagnols en parlaient comme d’une chose connue, et ils disaient les avoir découvertes eux, dit Roberto.
    — C’est ce Mendaña qui l’a affirmé, septante et quelques années en arrière. Mais il a raconté qu’elles étaient entre le septième et le onzième degré de latitude sud. Autrement dit entre Paris et Londres. Mais à quelle longitude ? Queiros disait qu’elles sont à mille cinq cents lieues de Lima. Ridicule. Il suffirait de cracher des côtes du Pérou pour les atteindre. Récemment un Espagnol a dit qu’elles sont à sept mille cinq cents milles du même Pérou. Trop, sans doute. Ayez la bonté de regarder ces cartes, certaines fraîchement refaites, mais en reproduisant les plus anciennes, et d’autres nous sont proposées comme dernière découverte. Regardez, certains placent les îles sur le deux cent dixième méridien, d’autres sur le deux cent vingtième, d’autres encore sur le deux cent trentième, pour ne rien dire de ceux qui les imaginent sur le cent quatre vingtième. Même si l’un d’eux avait raison, les autres arriveraient à une erreur de cinquante degrés, qui est à quelque chose près la distance entre Londres et les terres de la Reine de Saba !
    — Tout ce que vous savez est vraiment digne d’admiration, docteur, avait dit le chevalier, comblant les vœux de Roberto qui s’apprêtait à le dire lui aussi, à croire que dans votre vie vous n’ayez rien fait d’autre que chercher la longitude.
    Le visage du docteur Byrd, parsemé de lentilles