L'Ile du jour d'avant
son voyage en s’engageant dans des mers sépia.
Les jours s’écoulaient, immuables. Comme l’avait prévu Mazarin, Roberto ne pouvait avoir de rapports qu’avec les gentilshommes. Les matelots étaient des gibiers de potence, et c’était effrayant que d’en rencontrer un sur le tillac la nuit. Les voyageurs étaient affamés, malades et implorants. Les trois assistants de Byrd n’auraient pas osé s’asseoir à sa table, et ils glissaient en silence pour exécuter ses ordres. Le capitaine, c’était comme s’il n’existait pas : désormais, le soir, il était ivre, et puis il ne parlait que flamand.
Byrd était un Britannique maigre et sec à grande tête de cheveux roux qui pouvait servir de fanal de hune. Roberto, qui tâchait de se laver, à peine il le pouvait, profitant de la pluie pour rincer ses vêtements, ne l’avait jamais vu changer de chemise en de si nombreux mois de navigation. Heureusement, fût-ce pour un jeune homme habitué aux salons de Paris, la puanteur d’un navire est telle que l’on ne sent plus celle de ses semblables.
Byrd était un robuste buveur de bière, et Roberto avait appris à lui tenir tête, faisant semblant d’avaler et laissant le liquide dans son verre, plus ou moins au même niveau. Mais on eût dit que Byrd n’avait été instruit qu’à remplir des verres vides. Et comme le sien était toujours vide, c’est le sien qu’il remplissait et levait pour trinquer, bring dir’s . Le chevalier ne buvait pas, il écoutait et posait de temps à autre des questions.
Byrd parlait un français passable, ainsi que tout Anglais qui, à cette époque, voulait voyager hors de son île, et il avait été conquis par les histoires de Roberto sur la nature de la vigne dans le Montferrat. Roberto avait poliment écouté comment on faisait la bière à Londres. Puis ils avaient discuté de la mer. Roberto naviguait pour la première fois et Byrd avait l’air de ne pas en vouloir trop dire. Le chevalier posait seulement des questions qui concernaient le point où pouvait se trouver Escondida mais, comme il ne fournissait aucun indice, il n’obtenait point de réponse.
Apparemment le docteur Byrd accomplissait ce voyage pour étudier les fleurs, et Roberto l’avait tâté sur le sujet. Byrd n’était certainement pas ignorant des choses botaniques, et cela lui permit de s’entretenir en de longues explications, que Roberto faisait montre d’écouter avec intérêt. À chaque terre Byrd et les siens cueillaient vraiment des plantes, même si ce n’était pas avec le soin de savants qui auraient entrepris le voyage dans ce but, et de nombreux soirs se passèrent à examiner ce qu’ils avaient trouvé.
Dans les premiers jours, Byrd avait essayé de connaître le passé de Roberto et du chevalier, comme s’il avait des soupçons à leur endroit. Roberto avait donné la version convenue à Paris : Savoyard, il avait combattu à Casal du côté des Impériaux, il s’était attiré des ennuis d’abord à Turin et ensuite à Paris avec une série de duels, il avait eu la mauvaise fortune de blesser un protégé du Cardinal, et il avait donc choisi le chemin du Pacifique pour mettre beaucoup d’eau entre lui et ses persécuteurs. Le chevalier racontait de nombreuses histoires, certaines se déroulaient à Venise, d’autres en Irlande, d’autres encore dans l’Amérique méridionale, mais on ne démêlait pas celles qui lui étaient arrivées à lui de celles qui étaient arrivées à d’autres.
Enfin, Roberto avait découvert que Byrd aimait parler de femmes. Il s’était inventé de furieuses amours avec de furieuses courtisanes, les yeux du docteur brillaient et il se promettait de visiter un jour Paris. Puis il s’était repris, et avait observé que les papistes sont tous des corrompus. Roberto avait fait remarquer que nombre de Savoyards étaient presque des huguenots. Le chevalier s’était signé et il avait rouvert le discours sur les femmes.
Jusqu’au débarquement sur Mas Afuera, la vie du docteur semblait s’être écoulée selon des rythmes réguliers, et, s’il avait émis des observations à bord, c’était lorsque les autres se trouvaient à terre. Pendant la navigation, il s’attardait le jour sur le tillac, restait debout avec ses commensaux jusqu’à pas d’heure, et il dormait certainement la nuit. Sa chambre jouxtait celle de Roberto, c’étaient deux étroits boyaux séparés par une cloison, et Roberto restait éveillé, à
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