L’impératrice lève le masque
éviter que les invités soient interrogés. Je conçois bien maintenant que c’était une erreur.
Il fixait la surface du bureau d’un air contrit.
— Vous n’avez pas envisagé que vous pouviez rencontrer une patrouille ?
Il haussa les épaules.
— Il y avait à peine quelques centaines de mètres !
Bruck secoua tristement la tête.
— Vous nous avez privés de la possibilité de chercher des traces sur le lieu du crime.
— Mais le colonel n’a pas été assassiné sur le ramo Tron !
— Comment le savez-vous ?
— On lui a tranché la gorge. Or il n’y avait pas de sang sur la neige. Il faut donc en déduire que le meurtre a eu lieu ailleurs et qu’on a déposé le cadavre devant le palais.
Le lieutenant fronça les sourcils.
— Vous voulez dire que l’assassin a traîné le corps dans la neige pour le laisser devant chez vous ? Pourquoi aurait-il fait cela ?
— Pour vous mettre sur une mauvaise piste.
— Et sur laquelle ?
— Sur celle qui mène au palais Tron !
— Je comprends, ironisa Bruck. Donc, après avoir réalisé que l’assassin voulait nous induire en erreur, vous avez décidé de nous aider ?
— On pourrait le formuler ainsi, en effet. Car il est sûr que le colonel n’a pas été assassiné devant le palais.
— Et où croyez-vous que le crime ait eu lieu ?
— Je ne sais pas, mentit Tron, mais il y avait des traces en direction de la riva di Biasio.
— Alors, vous vous êtes décidés et avez aussitôt mis votre projet à exécution, sans réfléchir aux conséquences ? Je vous ai bien compris ?
— Oui, c’est cela.
— Et le drap ? Vous l’aviez sur vous, par hasard ?
— Non, nous sommes allés le chercher.
— De même que la ficelle avec laquelle vous avez attaché le drap ?
— Oui, la ficelle aussi.
— Vous prétendiez encore à l’instant que vous aviez transporté le corps du colonel sans prendre le temps de réfléchir. Vous suggériez que vous aviez perdu la tête sous le coup de l’émotion. Et maintenant, il s’avère que vous avez quand même médité le projet.
Bruck souriait.
— Je suppose que vous n’êtes pas allé vous-même chercher le drap et la ficelle, mais que vous avez envoyé M. Da Ponte, n’est-ce pas ?
Tron confirma l’hypothèse en silence.
— Et pour aller du ramo Tron au palais, il faut traverser deux cours intérieures et monta un grand escalier. Combien de temps cela prend-il à votre avis ?
— Peut-être cinq minutes.
— Donc, vous disposiez de dix minutes pour vous demander s’il valait mieux éliminer le corps du colonel ou prévenir les autorités militaires.
— Non, je n’ai pas pensé à cela.
— Alors, à quoi avez-vous pensé pendant dix minutes, commissaire ?
— Je me suis demandé qui pouvait bien avoir tué le colonel.
— Et vous avez un soupçon ?
— Ce doit être quelqu’un qui l’attendait à la sortie du palais, qui l’a suivi, puis abattu.
— Vous ne croyez pas que nous aurions nous-mêmes déduit que le colonel n’avait pas été tué à cet endroit, s’il n’y avait pas de sang ? Avez-vous si peu confiance dans les compétences investigatrices de l’armée ?
Le commissaire avait l’impression que le ton de la conversation avait changé. La voix du lieutenant était plus incisive, et ce qu’il disait ainsi que sa manière de formuler les questions étaient moins conciliants, presque méfiants.
— Ce n’est pas ce que je dirais.
— Que diriez-vous dans ce cas ?
— Je… Je pensais que j’étais plus en mesure de juger la situation que les officiers qui mèneraient l’enquête.
Le lieutenant secouait toujours la tête.
— Je crois que vous n’avez pas prévenu les autorités parce que vous avez une trop grande confiance dans les compétences investigatrices de l’armée.
— Je ne comprends pas où vous voulez en venir, lieutenant.
Bruck se leva. Il se dirigea vers le lavabo, jeta un bref coup d’œil dans le miroir et, de la main droite, remit en place sa mèche rebelle. Ensuite, il se retourna et se rassit.
— Je veux en venir au fait que vous n’avez peut-être pas le moindre intérêt à aider l’armée dans son enquête, reprit-il. Du moins est-ce l’impression du général von Toggenburg.
— Qu’est-ce qui donne cette impression au général ? fit semblant de s’étonner Tron.
— Le général croit que cette ville abrite un réseau de personnes qui ne reculeraient pas devant un crime de haute trahison. Le plus dangereux, à ses yeux,
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