L’impératrice lève le masque
cette chambre close était un large lit tendu de velours rouge où la princesse était allongée sur le dos, pieds et poings liés aux quatre angles du montant.
En entendant Tron, elle tourna la tête vers la porte, mais elle ne pouvait pas le reconnaître parce qu’elle avait les yeux bandés. Le commissaire la vit s’arquer brièvement, puis retomber sans force.
— Princesse ?
Elle tourna de nouveau la tête dans sa direction et demanda : — Qui êtes-vous ?
— Le commissaire Tron.
Il s’avança, ôta le bandeau et détacha la malheureuse. À chacun de ses mouvements, ses côtes lui faisaient mal. Une pointe transperçait son poumon gauche et l’empêchait de respirer à fond.
La princesse n’avait pas encore ouvert les yeux. Sa poitrine se levait et s’abaissait toujours plus vite. Sa respiration s’accélérait. Puis elle poussa un rapide soupir et se mit à sangloter. Elle était livide.
— Où est Haslinger ?
Sa voix était faible, mais toujours aussi pure.
— Il est mort.
— Et son domestique ?
— Lui aussi. Êtes-vous blessée ?
Elle secoua la tête.
— Non. Il ne m’a pas touchée. Comment avez-vous découvert que j’étais ici ?
— Haslinger a éliminé tous ceux qui savaient qu’il avait étranglé la jeune femme à bord de l’ Archiduc Sigmund . D’abord Moosbrugger, puis sa maîtresse à Trieste, et enfin Pergen.
— Mon Dieu ! Pergen aussi ?
— Oui.
— Donc, il n’y avait plus que moi.
— Oui. Après la mort du colonel, cela ne faisait plus de doute. Quand votre majordome m’a raconté qu’un soi-disant gondolier des Tron était venu vous chercher, je savais que vous étiez à sa merci.
— Et pourquoi êtes-vous venu seul ?
— C’est une longue histoire. Peut-être ferions-nous mieux de partir. Pouvez-vous marcher ?
— Je pense que oui.
Il y avait tout juste cinq pas à faire jusqu’à la porte. Tron y parvint en serrant les dents. Puis il continua tant bien que mal, mais au milieu du couloir, la douleur qui lui traversait la poitrine devint si forte qu’il dut s’arrêter. À ce moment-là, il sentit la princesse se pétrifier à ses côtés. En levant les yeux, il aperçut quelqu’un sur le palier.
C’est la première chose qu’il réalise : un homme se tient devant eux, un revolver à la main. Cet homme semble ricaner, mais il n’est pas sûr qu’il montre les dents et relève les coins de la bouche par plaisir. Cette expression peut très bien venir du fait qu’une partie de son visage est brûlée.
Tout se passe alors si vite que le commissaire n’est plus en mesure de distinguer les différents événements. Du coin de l’œil, il aperçoit la princesse qui s’écarte, se jette en avant et renverse Haslinger. Tron entend un coup de feu et sent à nouveau cette forte odeur de poudre. La balle lui traverse le bras gauche, il tourne sur lui-même et s’écroule. Un deuxième coup de feu retentit : il voit la princesse se cabrer, puis tomber à la renverse. Suit alors un bruit de chute.
Il sait que les derniers instants peuvent durer très longtemps. C’est pourquoi il n’est pas surpris que les mouvements de Haslinger qui s’approche soient si lents. Au lieu du revolver, qu’il a laissé tomber, le meurtrier tient maintenant un sabre dont la pointe frôle le ventre du commissaire, lui effleure la poitrine, hésite au niveau de la gorge et s’arrête enfin au-dessus de son œil droit. Tron ferme les paupières. Il essaie de tourner la tête, mais se cogne contre le mur. Il ne lui reste plus qu’à espérer que les choses aillent vite.
Cela lui parut durer une éternité, mais en réalité, Haslinger n’avait pas tenu sur ses jambes plus de quelques secondes. Le coup vint par-derrière, lui traversa la tempe et ressortit par le seul œil qui lui restât encore. Sa joue gauche explosa et une pluie de sang et d’éclats osseux s’abattit sur Tron. Sous le choc du projectile, le menton de Haslinger vint claquer contre sa poitrine. Il tomba à genoux, ouvrit les bras et ressembla un instant à un amoureux passionné faisant une demande en mariage. Puis il baissa les bras et s’effondra sur le côté, aux pieds de la princesse qui s’était relevée et se tenait là, les jambes écartées, le revolver dans la main droite, le poignet serré dans les doigts de la gauche. Elle était prête à tirer au moindre de ses mouvements.
Mais l’assassin ne bougeait plus. En général, un homme à la tempe déchiquetée et la joue
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