L'inconnu de l'Élysée
, que je n'y mettrais pas les pieds tant que l'apartheid subsisterait… Quelques années après sa libération, Mandela, dans un petit discours très gentil, a confirmé que je n'avais jamais voulu me rendre en Afrique du Sud tant que l'apartheid y sévirait.
1 Entretien avec l'auteur, 22 juillet 2006.
2 Le président de la République française l'a fait grand officier de la Légion d'honneur, le 28 juin 1998, au Cap.
3 Le 25 juin 1998, lors du dîner offert par le président de la République en l'honneur de Nelson Mandela, Jacques Chirac a déclaré : « Depuis bientôt 40 ans, mes pas m'ont mené partout. Jamais pourtant je n'étais venu chez vous. Précisément parce que vous n'étiez pas encore ici chez vous. Parce que, sur la terre de vos pères, on vous refusait, à vous et à tant d'autres, la qualité de citoyen et d'homme. Parce qu'ici, vouloir avancer debout demeurait un combat. »
I
Du quai Branly
au
Chirac intime
3.
École buissonnière au musée Guimet
L'accueil est courtois 1 . Le président me dit pourquoi il a accepté de me recevoir et je comprends que cela a un lien avec mon livre Une jeunesse française , dont il sait par François Mitterrand qu'il était « honnête ». Je lui expose mon projet. Je le trouve étonnamment serein face aux attaques dont il est l'objet. Il évoque le dernier livre de Franz-Olivier Giesbert avec une incroyable indulgence et se contente d'un « Il se prétendait mon meilleur ami ». Emploie le mot « naïveté » et me demande combien de temps d'entretiens il me faudrait.
– Je ne peux vous répondre avec précision, mais je pense qu'une vingtaine d'heures serait l'ordre de grandeur.
– Je dégagerai le temps nécessaire.
Je pense alors que nous arrivons au terme de ce premier rendez-vous. Mais il consulte sa montre et se dit prêt à parler jusqu'à midi trente, « pour se mettre en jambes ». Je vais donc essayer d'emblée de comprendre les racines de son engagement en faveur des arts premiers, qui l'ont amené à vouloir créer le musée du quai Branly.
Le fauteuil dans lequel je suis assis n'est pas idéal pour prendre des notes. Le président s'en aperçoit et explique comment et pourquoi les fauteuils plus confortables qui meublaient le bureau de son prédécesseur ont été remplacés. Après son élection en mai 1995, François Mitterrand lui avait demandé quelques jours de sursis avant de quitter l'Élysée.
« J'ai évidemment accepté… Quand j'arrive à l'Élysée, il tient à m'accompagner jusqu'à ce qui allait être mon bureau. Je suis stupéfait de ne pas reconnaître les lieux, avec les meubles Paulin…
– Ça vous étonne ? me dit-il.
– …
– J'ai tenu à vous laisser le bureau dans l'état où le général de Gaulle l'a quitté. »
Et Jacques Chirac de m'expliquer comment son prédécesseur s'était personnellement occupé de cette remise en état pour lui être agréable.
En quelques mots, le chef de l'État vient de me confier le lien fort qui le lia à son prédécesseur, et l'acceptation du message que celui-ci avait voulu lui transmettre par ce geste symbolique. Il vient manifestement de me livrer une première petite clé pour entrebâiller son armoire à secrets. Et comme s'il voulait s'assurer que j'avais enregistré sa pensée, il a tourné son regard vers le bureau Louis XV, marqueté de bois de rose et de violette, avec dessus en maroquin rouge, derrière lequel il travaille depuis plus de dix ans ; il pointe du doigt deux lampes bouillotes en vermeil, style Louis XVIII, et raconte qu'il les avait déjà eues quelques jours sur son bureau, la première fois qu'il avait été Premier ministre, en 1974. Mais Giscard, qui les avait repérées, envoya, sans le prévenir, quelqu'un les récupérer. Faisant mine de résister, Chirac s'était entendu signifier par l'émissaire inconnu :
– Vous n'avez pas le choix, c'est un ordre du président de la République.
S'il accepte volontiers la chaîne de souvenirs qui le rattache à de Gaulle et à Mitterrand, il rejette manifestement tout lien avec Giscard.
Jacques Chirac a 14 ans en 1946. Il est alors en quatrième B1 au lycée Carnot. Il dit avoir été attiré tout jeune – vers 14-15 ans – par l'art asiatique. Ses carnets de notes font de lui un élève qui « peut mieux faire », même si le professeur de français le trouve « intelligent » au premier trimestre, que celui d'histoire le trouve « bon », que celui d'anglais voit
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