L'inconnu de l'Élysée
propos de cette passion de jeunesse pour la Chine, le président a lâché quelques éléments à l'intention de ses futurs biographes. Ainsi, le 18 mai 1997, à Shanghaï, il déclare avoir appris dès sa jeunesse à connaître cette « prestigieuse civilisation, la plus ancienne actuellement vivante ». « Pour un Européen façonné par une histoire faite de ruptures et de diversité, la Chine incarne la plus remarquable continuité culturelle. “Un État plus vieux que l'Histoire”, pour reprendre le mot du général de Gaulle. Une continuité qui s'incarne dans votre écriture comme dans vos rizières, où s'enracinent des modes de vie et une morale millénaires. » Il parle ensuite de la fascination de l'Europe pour la Chine, malgré sa difficulté d'accès : « Rencontre avec la Rome antique, malgré la présence des Parthes. Rencontre avec Byzance et le haut Moyen Âge, grâce aux soieries mystérieuses, linceul de nos saints. Rencontre avec Marco Polo. Rencontre avec les grandes découvertes et les Compagnies des Indes qui nous ont fait aimer l'art chinois, ses laques et ses porcelaines que nous importions et que nous imitions. Rencontre de tous temps par cette étonnante route de la Soie, cordon reliant la Chine au monde, voie d'accès du bouddhisme comme des marchands arabes. Mère des arts et des lettres, forte de sa civilisation stable d'Empire du Milieu, la Chine s'imposait. » Et, survolant toute l'histoire de l'Empire céleste, il évoque ce « temps de l'incompréhension », au xix e siècle, résultat de la conjonction de l'aveuglement mandchou et des appétits de l'impérialisme conquérant.
Intrigué par cette connaissance de la Chine ancienne et notamment « des bronzes archaïques de la période Xian », j'ai rencontré Christian Deydier, 56 ans, président du Syndicat national des antiquaires, épris de civilisation chinoise et des objets qui la jalonnent. Il a une boutique, « Oriental Bronzes », rue du Bac, à Paris. Né au Laos en 1950, il se passionna pour l'écriture protochinoise découverte sur les écailles de tortue et sur les os divinatoires de la dynastie Shang. Mais c'est à ses travaux sur les bronzes archaïques qu'il doit sa renommée, notamment auprès des archéologues chinois. Mécène des fouilles du tombeau de la princesse Xincheng, de la dynastie Tang, près de Xi'an, Deydier a publié le résultat de ses travaux en Chine dans la principale revue d'archéologie chinoise, Wenwu . Après quelques rencontres avec Jacques Chirac dans des expositions et salons d'art asiatique, et grâce à l'amitié de Jacques Kerchache, Christian Deydier est devenu un familier du président. Il dit de lui qu'il a « un œil redoutable » pour repérer la pièce unique dans les arts africains, précolombiens aussi bien qu'asiatiques. Un « œil » que Kerchache a su amplifier et perfectionner.
Deydier raconte comment, à la Biennale des antiquaires de 2004, qu'il visitait avant l'ouverture officielle, le président s'est attardé devant un stand qui exposait des objets Taïnos, en a pris un, l'a examiné en véritable amateur, puis a contesté sa datation, au grand dam du propriétaire de l'objet. Deydier a alors appelé un grand expert à la rescousse, lequel a confirmé la date avancée par Jacques Chirac. On sent, chez le spécialiste, l'admiration pour cet amateur éclairé qu'il range, après lui, parmi les meilleurs spécialistes des bronzes archaïques chinois, mais aussi des céramiques Song. « Il est aussi spécialiste des céramiques et des statuettes japonaises… Il impressionne les dirigeants asiatiques par ses connaissances. »
Deydier évoque la visite du musée de Shanghaï qu'il fit en sa compagnie, en octobre 2004, et dont le chef de l'État m'avait déjà parlé. Il a d'abord localisé et daté un vase en bronze qui ressemblait à une pièce du xv e siècle avant Jésus-Christ, mais il a tout de suite décelé que quelque chose clochait et a affirmé avec justesse qu'elle n'était en fait que du xii e … À propos d'un bronze représentant un cochon, Chirac s'est opposé frontalement au directeur du musée de Shanghaï qui le datait du vii e avant J.C., alors que lui-même soutenait qu'il était plus ancien, du xi e . Le ton a monté. Puis il a fallu convenir que c'était Chirac qui avait raison… « Il fait partie des cinq ou six spécialistes mondiaux des bronzes archaïques… Les Chinois et, d'une façon générale, les Asiatiques le
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