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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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à d'œil à Bea me fit comprendre que mes alarmes
constituaient à peine un souffle dans la tornade qui, de son côté, la dévorait
de l'intérieur. Nous nous arrêtâmes devant le porche et nous dévisageâmes sans
prendre la peine de
feindre. Un vigile s'approchait sans hâte en chantonnant des boléros et en
s'accompagnant du joyeux tintement de ses trousseaux de clefs.
    –
Peut-être préfères-tu que nous ne nous revoyions pas, proposai-je sans conviction.
    – Je ne
sais pas, Daniel. Je ne sais rien. C'est ce que tu veux ?
    – Non.
Bien sûr que non. Et toi ?
    Elle
haussa les épaules, en esquissant un faible sourire.
    –
Qu'est-ce que tu crois ? dit-elle. Tout à l'heure, je t’ai menti, tu
sais ? Dans la cour de l'Université.
    –En disant
quoi ?
    – Que je
ne voulais pas te voir aujourd'hui.
    Le vigile
était parvenu à notre hauteur en arborant un petit sourire narquois,
apparemment indifférent à ce qui était ma première scène d'adieux et aux
chuchotements que lui, en bon vétéran, devait trouver banals et éculés.
    – Ne vous
dérangez pas pour moi, dit-il. Je vais aller fumer une cigarette au coin de la
rue et vous me préviendrez.
    J'attendis
que le vigile se soit éloigné.
    – Quand te
reverrai-je ?
    – Je ne
sais pas, Daniel.
    –
Demain ?
    – Je t'en
prie, Daniel. Je ne sais pas.
    Elle me
caressa le visage.
    – Il vaut
mieux que tu t'en ailles.
    – En tout
cas, tu sais où me trouver.
    Elle
acquiesça.
    – Je
t'attendrai.
    – Moi
aussi.
    Je
m'éloignai sans détacher mon regard du sien. Le vigile, expert en ce genre de
scènes, revenait déjà pour lui ouvrir
la porte.
    –
Sacripant, murmura-t-il en passant près de moi non sans une certaine
admiration. Et avec ça, jolie comme un cœur.
    J'attendis
que Bea soit entrée dans l'immeuble pour m'éloigner d'un pas rapide, en me
retournant à chaque
enjambée. Lentement, je fus pris de la certitude absurde que tout était
possible, et il me sembla que même ces rues désertes et ce vent hostile
respiraient l'espoir. En arrivant place de Catalogne, je vis qu'une volée de
pigeons s'était rassemblée en son centre. Ils recouvraient la place comme un
manteau d'ailes blanches ondulant en silence. Je m'apprêtai à les contourner,
mais je m'aperçus que l'attroupement m'ouvrait un chemin sans s'envoler.
J'avançai avec hésitation, en voyant les pigeons s'écarter sur mon passage,
puis resserrer les rangs derrière moi. Parvenu au milieu de la place,
j'entendis les cloches de la cathédrale sonner minuit. Je m'arrêtai un instant,
échoué dans un océan d'oiseaux argentés, et je pensai que ce jour avait été le
plus extraordinaire et le plus merveilleux de ma vie.

 
     
     
     
     
    9
     
     
     
     
    On voyait
encore de la lumière dans la librairie quand je passai devant la vitrine. Je me
dis que mon père était peut-être resté mettre son courrier à jour ou s'était
donné une excuse quelconque pour m'attendre et me tirer les vers du nez.
J'observai une silhouette occupée à empiler des livres et reconnus le profil
maigre et nerveux de Fermín en pleine concentration. Je frappai à la vitre.
Fermín leva la tête, surpris et heureux, et me fit signe d'entrer par
l'arrière-boutique.
    – Encore
au travail, Fermín ? Mais il est très tard.
    – A vrai
dire, je meublais le temps avant d'aller veiller le pauvre M. Federico. Nous
avons organisé des tours de garde avec Eloy, l'opticien. Résultat, je ne
dormirai pas beaucoup. Deux ou trois heures au plus. D'ailleurs vous n'êtes pas
en reste, Daniel. Il est minuit passé, et j'en déduis que votre rendez-vous
avec la demoiselle a été un brillant succès.
    Je haussai
les épaules.
    – En vérité,
je n'en sais rien, dis-je.
    – Vous lui
avez mis la main aux fesses ?
    – Non.
    – C'est
bon signe. Ne vous fiez jamais à celles qui se laissent faire dès la première
fois. Moins encore à celles qui ont besoin de l'approbation du curé. Le bon
bifteck, si vous me permettez cette métaphore
bouchère, se situe entre les deux. Bien sûr, si l'occasion se présente, inutile
de faire la fine bouche, profitez-en. Mais si vos intentions sont sérieuses,
comme moi avec Bernarda, rappeler-vous cette règle d'or.
    – Parce que
vos intentions sont sérieuses ?
    – Plus que
sérieuses. C'est spirituel. En ce qui concerne cette jeune personne, Beatriz,
qu'en est-il ? Ça saute aux yeux qu'elle figure tout en haut du barème,
viande tendre de premier choix, mais la vraie

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