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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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question est : fait-elle
partie de celles dont on tombe amoureux, ou de celles qui vous remuent les
tripes et le reste ?
    – Je n'en
ai pas la moindre idée, déclarai-je. Les deux, je crois.
    –
Voyez-vous, Daniel, c'est comme une indigestion. Sentez-vous quelque chose là,
en haut de l'estomac ? Comme si vous aviez avalé une brique ? Ou
est-ce seulement une chaleur générale ?
    – Ce
serait plutôt la brique, dis-je, sans écarter tout à fait la chaleur.
    – Alors
l'affaire est grave. Que Dieu vous vienne en aide ! Allons, asseyez-vous,
je vais vous préparer du tilleul.
    Nous nous
installâmes à la table de l'arrière-boutique, cernés par les livres et le
silence. Fermín me tendit une tasse fumante et me sourit, l'air quelque peu
embarrassé. Quelque chose lui trottait dans la tête.
    – Puis-je
vous poser une question d'ordre personnel, Daniel ?
    –
Naturellement.
    – Je vous
prie de me répondre en toute sincérité, ajouta Fermín, et il se racla la gorge.
Croyez-vous que je pourrais arriver à être père ?
    Il dut
tire la perplexité sur ma figure, car il s'empressa d'ajouter :
    – Je ne
veux pas dire père biologique. Certes, vous devez me trouver un peu chétif
mais, grâce à Dieu, la providence a bien voulu
me doter de la fougue et de la puissance virile
d'un taureau d'Andalousie. Je parle d’un autre genre
de père. Un bon père, vous comprenez.
    – Un bon père ?
    – Oui.
Comme le vôtre. Un homme possédant une tête, un cœur et une âme. Un homme
capable d'écouter, de guider et de respecter un enfant, et non de l'étouffer
sous ses propres défauts. Quelqu'un que l'enfant n'aimerait pas seulement parce
que c'est son père, mais qu'il admirerait pour ce qu'il est réellement.
Quelqu'un à qui son enfant voudrait ressembler.
    – Pourquoi
me demandez-vous ça, Fermín ? Je pensais que vous ne croyiez pas au
mariage et à la famille. Le joug et tout le reste, vous vous souvenez ?
    – Écoutez,
tout ça, c'est affaire d'appréciation. Mariage et famille ne sont que ce que
nous en faisons. Sinon, ils ne constituent qu'un tas d'hypocrisies. Du toc et
des bavardages. Mais s'il y a vraiment de l'amour, un amour dont on ne parle
pas et qu'on ne clame pas aux quatre vents, qu'on n'affiche pas et qui n'a pas
besoin de démonstrations...
    – On
dirait que vous êtes devenu un autre homme, Fermín.
    – C'est
que je le suis. Bernarda m'a fait désirer devenir meilleur.
    – Et
comment ?
    – Parce
que je veux la mériter. Vous, pour le moment, vous ne comprenez pas, vous êtes
trop jeune. Avec le temp s, vous
verrez que parfois, ce qui compte, ce n'est pas ce qu'on a, mais ce à quoi on
renonce. Bernarda et moi, nous avons eu
une discussion. C'est une vraie mère poule, vous le savez. Elle ne le dit pas,
mais je crois que le plus grand bonheur pour elle en ce monde serait d'avoir
des enfants. Moi, cette femme, je l'aime plus que les abricots au sirop. Tout
ça pour vous dire que je suis capable de passer par l'église après trente-deux
ans d'abstinence cléricale et de réciter les psaumes de saint Séraphin, bref de
faire le nécessaire.
    – Je
trouve que vous vous emballez vite, Fermín. Vous venez à peine de faire sa connaissance...
    – C'est
que, voyez-vous Daniel, à mon âge, on commence à voir clairement les choses, ou
alors on reste définitivement idiot. Cette vie vaut la peine d'être vécue pour
trois ou quatre raisons, sinon autant aller planter les choux. J'ai fait beaucoup
de bêtises, et je sais désormais que tout ce que je veux, c'est rendre Bernarda
heureuse et mourir un jour dans ses bras. Je veux redevenir un homme
respectable, vous comprenez ? Pas pour moi, parce qu'en ce qui me concerne
ce chœur de guenons que nous appelons l'humanité me donne le cafard, mais pour
elle. Parce que Bernarda croit à ce genre de choses, les feuilletons à la
radio, les curés, la respectabilité et la vierge de Lourdes. Elle est comme ça
et je l'aime ainsi, sans que cela change d'un iota mes convictions. Et c'est
pour ça que je veux qu'elle puisse se sentir fière de moi. Je veux qu'elle
pense : mon Fermín est un homme qui en a, comme Cary Grant, Hemingway ou
Manolete.
    Je croisai
les bras, en prenant toute la mesure de l'affaire.
    – Avez-vous
parlé de tout ça avec elle ? D'avoir des enfants ensemble ?
    – Non,
grand Dieu. Pour qui me prenez-vous ? Vous croyez que je me promène dans
le monde en annonçant aux femmes que j'ai envie de les mettre

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