Louis XIV - Tome 1 - Le Roi soleil
du miroir.
Il regarde la peau de son visage. Il caresse du bout de ses doigts ses joues et son front. Il effleure les pustules, les cicatrices, les boutons encore purulents, les marques de cette petite vérole dont il a triomphé.
Il recule d’un pas.
Il eût pu succomber. Être le roi n’empêche pas la maladie de vous assaillir, de vous terrasser, de vous laisser affaibli avec ces plaies sur le visage.
Il faut être à chaque instant sur ses gardes, car la vie est une guerre. Les ennemis sont aux aguets.
Il le soupçonnait. Il les voit surgir chaque jour de plus en plus nombreux. Ils menacent. Ils hurlent. Ils insultent.
Le samedi 11 janvier 1648, il a entendu sa mère raconter d’une voie aiguë, tremblante de colère et d’inquiétude, l’affront qu’elle a subi, les dangers qu’elle a courus. Plusieurs centaines de femmes l’ont encerclée, poursuivie jusque dans la nef de Notre-Dame, où elle se rendait pour suivre la messe.
Anne d’Autriche porte les mains à ses oreilles comme si elle entendait encore ces hurlements qui résonnaient dans la cathédrale.
Elle s’indigne. Ce sont ces parlementaires, qui refusent de se soumettre, qui excitent le peuple, veulent soulever Paris, cette ville qui est un volcan énorme de plus de quatre cent mille habitants, afin que le roi cède devant le tumulte, retire ses projets de nouveaux impôts.
Anne d’Autriche s’est tournée vers Mazarin. Suffit-il donc de deux cent vingt parlementaires, qui suivent l’un des conseillers à la Grand-Chambre, le vieux Broussel, pour que le roi s’incline ?
Louis se souvient de ce que son premier valet de chambre La Porte lui répète :
— L’hommage est dû aux rois. Ils font ce qui leur plaît… Dieu vous a choisi. Il vous a donné cette majestueuse prestance, cet air et ce port presque divins, cette taille et cette beauté dignes de l’empire du monde qui attirent les yeux et le respect de tous ceux à qui Votre Majesté se fait voir.
Louis se tait, murmure pour lui seul :
— Je dois donc toujours me souvenir que je suis le roi.
Mais c’est aussi être toujours menacé.
Quand il s’est rendu le dimanche 12 janvier à Notre-Dame pour y célébrer une action de grâces, y remercier Dieu d’avoir veillé sur lui durant cette maladie, de lui avoir permis de la vaincre, il a entendu dans les rues proches de la cathédrale les cris de la foule que l’escorte de gardes suisses avait repoussée.
Il a les nuits suivantes été réveillé par des décharges de mousquet, aux abords du Palais-Royal. Il s’est levé, est allé se coucher dans le lit de son premier valet, et La Porte l’a rassuré.
Il n’est qu’un enfant qui n’a pas encore dix ans, qui sait déjà que tous les yeux sont braqués sur lui. Que ce n’est que lorsqu’il se retire dans sa chambre et qu’il n’a plus pour témoin que La Porte qu’il peut s’autoriser à exprimer ce qu’il ressent.
Mais dès qu’il est exposé aux regards des autres, il doit demeurer impassible, silencieux, étonné de subjuguer, lui l’enfant. Rester ainsi immobile, sans manifester d’ennui ou d’impatience, durant les six heures que dure ce spectacle d’ Orphée , le premier opéra présenté en France, à l’initiative de Mazarin.
Cet Italien, ce cardinal, ce Grand Turc, il faut à la fois accepter son autorité, ses conseils, puisque la reine mère le veut, et lui faire sentir qui est le roi, qui détient le pouvoir, qui sera le maître, un jour.
Alors que Mazarin attend dans la chambre de Louis pour le saluer à son coucher, qu’il tempête, ses courtisans découvrent que le roi peut rester autant qu’il le veut sur sa chaise percée, dans sa garde-robe, et qu’il ne sortira pas, que c’est Mazarin, le tout-puissant, qui devra s’éloigner, humilié.
Bonne leçon pour le Grand Turc.
Mais c’est Mazarin qui gouverne, lui qu’Anne d’Autriche écoute, lui qui dit que le Parlement, avec sa Grand-Chambre, ses cinq chambres d’enquêtes, ses deux de requêtes et ses présidents, ses conseillers, Broussel, Potier de Blancmesnil, est puissant, que la population de Paris le suit, qu’il est dans l’île de la Cité comme dans une forteresse, avec ces rues grouillantes, tumultueuses, autour de son palais.
Il faut donc subir l’avocat général du Parlement, Omer Talon, qui prononce un plaidoyer aux accents d’un réquisitoire.
Louis, ce 15 janvier 1648, encore marqué par la maladie, assis sur des coussins bleus
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