Louis XIV - Tome 1 - Le Roi soleil
ducs, la regardent avec commisération. Ils ignorent Mazarin ou lui manifestent leur mépris.
Est-ce cela, être roi ?
Louis se souvient de la lignée royale dont il est le descendant. Il n’a que dédain pour les rois fainéants, ces souverains paresseux et soumis, qui ont subi la domination des maires du Palais, ou ceux qui ont succombé aux cabales des grands, ou ont dû fuir devant la révolte de leurs sujets.
Il a le sentiment de vivre des moments aussi sombres, de devoir affronter des « agitations terribles ».
Dans la nuit du 5 au 6 janvier 1649, il se réveille en sursaut. Le maréchal de Villeroy le secoue. Le premier valet de chambre La Porte l’aide à s’habiller.
On fuit à nouveau. On sort du palais par la petite porte qui donne sur les jardins. Les valets de chambre éclairent la marche avec des torches. Louis a saisi la main de son frère. Il rassure Philippe. Trois carrosses attendent, dans cette nuit glaciale. On s’y pelotonne. Anne d’Autriche donne le signal du départ et l’on chevauche, traversant Paris endormi, obscur, désert.
Au-delà des portes de la ville, dans la lumière blafarde, Louis devine, aux reflets du métal, des casques, des armures et des armes de soldats. Ce sont ceux de Condé, dont les cavaliers vont accompagner les trois carrosses jusqu’au château de Saint-Germain.
Les bâtiments du vieux château sont vides. Louis, pour la première fois de la nuit, grelotte. Les torches éclairent des murs craquelés, les bottes de paille qu’on vient de jeter sur les parquets pour les proches qui ont accompagné la reine et Mazarin.
Les lits de camp sont réservés à Anne d’Autriche, à ses fils et à Son Éminence.
Louis ne réussit pas à s’endormir. Le vent s’engouffre par les fenêtres aux vitres brisées, l’humidité glacée stagne dans ces chambres non chauffées.
Au matin, point de vêtements propres, et seulement quelques domestiques. Et ce froid qui saisit.
On se rend à la messe, puis on écoute les récits de ceux qui, chaque jour plus nombreux, ont à leur tour quitté Paris où règnent les parlementaires rebelles et la foule des émeutiers.
Ils racontent que les voitures contenant les bagages du roi ont été arrêtées, pillées, que les portes de Paris sont gardées. Et que les troupes de Condé, composées de mercenaires allemands, ont commencé d’encercler la ville, dévastant les champs et les villages.
Il faudra bien que Paris cède.
Mais on n’a pas assez de troupes et plus d’argent. Louis apprend que sa mère est contrainte de mettre en gage les bijoux de la couronne, de vendre ses boucles d’oreilles en diamant.
Est-ce possible ?
Il veut qu’on mate ces rebelles qui attentent au pouvoir du roi et ternissent sa gloire.
Alors, si les lansquenets et les reîtres de Condé massacrent et pillent, s’ils jettent dans la Seine glacée leurs prisonniers, s’ils affament Paris dont les rues sont envahies par les eaux et où l’on meurt de faim, peu importe ! C’est châtiment nécessaire. Et cela n’empêche pas la compassion pour ces mendiants qui s’agglutinent dans les rues de Saint-Germain, autour de l’église et du château, quémandant de quoi survivre.
Un roi doit punir ses sujets rebelles et tenter de soulager leurs misères.
Paris est affamé, dit-on. Les mercenaires de Condé sont impitoyables, brûlant les récoltes, pillant, violant. Mais n’est-ce pas le sort qui doit être réservé à des rebelles, et même à ces parlementaires qui continuent de s’opposer à l’autorité royale ?
Louis voit sa mère pleurer de rage, humiliée et impuissante.
On lui rapporte qu’à Paris, des écrivains à gages l’insultent, prétendent qu’elle est la maîtresse de Mazarin.
Peuples n’en doutez pas il est vrai qu’il la fout.
Et que c’est par ce trou que Jules nous canarde.
Elle consent, l’infâme au vice d’Italie.
Voilà ce qu’on peut lire, ce qu’on entend, et les pamphlets, les libelles, les mazarinades dénoncent cette Éminence, « un tyran, fourbe, fripier, comédien, bateleur et larron italien ».
On saccage sa demeure, on vole ses livres précieux, et l’on écrit :
Va rendre compte au Vatican
De tes meubles mis à l’encan
Du vol de nos tapisseries
De celui de nos pierreries
De tes deux cents robes de chambre
De tes excès de musc et d’ambre
De tes habits vieux et nouveaux
Du beau Palais de tes chevaux
D’être cause que tout se perde
De tes caleçons pleins de
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