Louis XIV - Tome 1 - Le Roi soleil
merde !
Louis s’étonne et s’indigne que Mazarin l’insulté prêche à la reine mère la modération, puis annonce qu’il a entrepris de négocier avec ses ennemis. Elle proteste, elle pleure de colère. Louis se serre contre elle, comme pour lui faire comprendre qu’elle doit refuser de céder aux exigences des parlementaires.
Mazarin s’approche, et pose sa main sur l’épaule de Louis.
Il parle d’une voix sourde. Il a appris que, il y a dix jours, le 9 février, Charles I er , roi d’Angleterre, a été décapité sur décision du Parlement de Cromwell.
Louis sent sa mère trembler. Les suivantes autour d’elle poussent des cris d’effroi. Il faut prévenir Henriette de France, l’épouse de Charles I er et la sœur de Louis XIII qui s’est réfugiée en France, avec sa fille Henriette d’Angleterre, et ses deux fils, le prince de Galles et le duc d’York.
— Je pars pour Rueil, rencontrer les parlementaires, murmure Mazarin. Et signer la paix avec eux.
Louis partage la colère et l’humiliation de sa mère. Il faut accepter les conditions des parlementaires, ces rebelles, et combler les Grands d’avantages, leur accorder des titres, de l’argent, des postes de gouverneurs dans les provinces, et montrer sa gratitude envers Condé. Ce sont ses mercenaires allemands qui ont sauvé la monarchie, contraint les parlementaires à accepter de négocier, et la population de Paris assiégée, tenaillée par la faim, à souhaiter que la paix soit rétablie.
On peut enfin, dans la chaleur de ce 19 août 1649, rentrer à Paris. Et Louis regarde en essayant de rester impassible, de ne pas laisser deviner le mépris et en même temps le plaisir qu’il éprouve à voir ce peuple rassemblé tout au long de la route.
On crie « Vive le roi ! », on acclame aussi la reine, et Mazarin, qu’on vouait au gibet, qu’on couvrait d’insultes ordurières, a sa part du triomphe.
On avance au pas tant la foule est dense, entourant les carrosses, manifestant son enthousiasme.
C’est donc cela le peuple ! Menaçant puis adulant, et toujours versatile et dangereux.
On se rend à Notre-Dame pour célébrer un Te Deum. Et Louis voit ces visages de femmes, des harengères du marché neuf qui entourent son carrosse, en forcent les portes, tendant leurs mains pour toucher le roi. Elles crient qu’il est beau. Elles hurlent « Vive Louis ! » et arrachent des morceaux de son habit de soie.
Louis subit, s’efforçant de garder l’immobilité d’une statue.
Un roi ne doit rien révéler de ce qu’il ressent : mépris, répulsion, dégoût, peur aussi.
Et certitude qu’il est différent de ces gens qui crient, qui l’acclament après s’être rebellés contre le pouvoir royal.
Un roi ne peut se confier à personne et ne peut faire confiance à quiconque.
Celui qui règne est seul.
Il s’en persuade quand, le 5 septembre 1649, il descend de son carrosse devant l’église Saint-Eustache, où il va accomplir sa première communion. Il semble ne pas voir cette foule qui l’acclame. Il est entouré par les gardes suisses qui battent tambour et l’ont précédé tout au long du trajet.
Il entre dans l’église, indifférent aux acclamations de la foule et aux salutations compassées des parlementaires.
C’est seulement avec Dieu qu’un roi peut communier.
6.
Louis s’agenouille et prie.
Il a besoin de s’adresser matin et soir à Dieu et à Marie, et d’assister chaque jour à la messe.
Il murmure à son confesseur, le père Paulin, les quelques fautes que la reine ou le gouverneur chargé de son éducation, le maréchal de Villeroy, lui ont reprochées, pour lesquelles il a été châtié.
Il s’est battu dans sa chambre avec son frère Philippe. Ils ont échangé des crachats. Ils ont pissé sur leurs lits, puis ils se sont empoignés, et le maréchal a eu de la peine à les séparer.
Le père Paulin lui demande de réciter après lui quelques prières, puis l’absout.
Louis baisse la tête.
Un roi, fut-il le plus grand, doit reconnaître la majesté de Dieu, le Seigneur suprême, et écouter la voix de ceux qui parlent en son nom.
Louis a confiance dans le père Paulin, un jésuite au visage osseux, aux longues mains maigres mais à la voix chaleureuse et grave.
Louis sait que le père Paulin est un fidèle du cardinal Mazarin, et ne s’en cache pas, lui chuchotant même qu’il va dire à Son Éminence combien le roi est un vrai Dieudonné,
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