Madame Catherine
qu’elle paraît attendre, et qui l’empêche de s’en aller au Ciel !
La petite religieuse était-elle douée de divination ? Simon de Coisay jeta un regard circulaire à la chambre, toute simple mais paisible. Il s’approcha du lit de la mourante et, prenant délicatement sa main, vint plonger ses yeux dans les siens, déjà fixes.
— Françoise, fit-il doucement, Françoise, c’est moi. C’est Simon.
Elle resta muette un moment.
— Simon ? articula-t-elle enfin.
— Vous me reconnaissez ?
En guise de réponse, une grosse larme ronde glissa sur la joue de cette femme.
— Simon...
L’ancien écuyer se pencha pour comprendre ce qu’elle tentait de lui dire.
— Simon, votre frère n’est plus, n’est-ce pas ?
Il sourit.
— Hélas, non, dit-il. Il nous a quittés, voilà onze ans déjà.
Elle ferma les yeux, esquissa une grimace.
— Simon...
Il s’approcha plus près encore. Elle faisait visiblement des efforts pour parler.
— J’aurais tant aimé le revoir !
Il jeta un bref regard en direction de la jeune moniale qui, comprenant la situation, s’éclipsa aussitôt.
— Françoise, dit-il, on m’a confié une lettre qui vous était adressée, mais ne vous est jamais parvenue. Une lettre de Gautier...
— De Gautier ?
Simon sortit le pli bleuté de sa manche et, d’un geste hésitant, pudique, le glissa dans la paume de Françoise. Elle en caressa le papier, pourtant rêche, avec des trésors de tendresse. Puis, dans un effort qui dut lui coûter, elle leva la main pour lui rendre la lettre.
— Vous lisez ?
Il fit « oui » de la tête, déplia la petite feuille et s’éclaircit la voix.
— « Mon amie, ma Françoise,
« Il me semble qu’il g a bien longtemps, des années, un siècle peut-être, que nous sommes loin, si loin l’un de l’autre, que ton regard n’est plus là pour me donner des forces, que tes lèvres... »
Simon, soudain gêné, s’était interrompu.
— Allons ! s’impatienta Françoise.
Il sourit et reprit son souffle.
— « ...que tes lèvres manquent à mes lèvres, à mon cou, à mon corps... Françoise, tout est si pesant, si terne, quand je te sais ailleurs ; alors que ta présence baigne tout de lumière et de joie ! Je me dis, pour survivre, que ton petit coeur est là-bas, quelque part, bien vivant, et qu’il bat pour tout l’univers. Je me dis que tu penses à moi, comme je pense à toi, et pas seulement quand nos regards se croisent sur la lune, à minuit – n’oublie pas ! Je me dis que ce qui est vécu nous appartient, que c’est un bien pour moi, un bien pour toi, un bien pour le monde. Et comme cela ne suffit pas à combler le manque terrible qui me dévore, je me dis enfin que ce papier, dans quelque temps, sera sur ton coeur : alors je l’embrasse, je le hume, je le couvre de mes larmes et de mes soupirs. Qu’il te les apporte, mon âme adorée, qu’il t’en communique le feu tout vif : mon amour est si grand qu’il faudra l’éternité... »
Simon s’interrompit. Françoise, à présent souriante et détendue, lui parut en même temps bien inerte. Il se pencha vers elle, aperçut ses yeux, lui ferma les paupières... Il n’appela pas tout de suite au secours.
— « Mon amour est si grand qu’il faudra l’éternité pour l’étancher, acheva-t-il, la gorge nouée. Écris-moi, Françoise, ne reste pas sans me répondre.
« Ton Gautier pour la vie. »
Il replia le papier bleuté et le remit, toujours aussi délicatement, dans la paume de sa destinataire.
Dehors, Simon fut bousculé par une farandole endiablée de jeunes villageois, grimés et masqués. Leurs rires d’enfants insouciants le rassérénèrent.
En se remettant en selle, il songeait à leur avenir, à leurs querelles futures, à leurs amours en germe, à leur propre mort... Nombre d’entre eux connaîtraient le siècle suivant... Ils avaient la vie devant eux, et tout le temps du monde.
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