Madame Catherine
elle-même au pied d’un arbre, transie de froid et, depuis longtemps sans doute, sans conscience. Pourquoi s’était-elle aventurée aussi loin de la maison ? Le savait-elle elle-même ? Certains soulignèrent qu’elle était proche de la route de Noyon : avait-elle voulu marcher vers les lieux où l’on avait supplicié son père ?
Simon la prit dans ses bras, sans descendre de cheval, et la ramena jusqu’à Saint-Pierre où Nanon, pendant toute la nuit, ne cessa de la frictionner, de la cajoler, de tenter de lui faire boire des bouillons dont la malheureuse, toujours inconsciente, ne pouvait prendre la moindre gorgée.
Au petit matin, elle était morte. Simon tomba dans les bras de la vieille servante, et ils pleurèrent ensemble, bien amèrement, sur le gâchis de cette vie ravagée par l’intolérance du siècle, sur la terrible destinée de cette femme qui avait vu, tour à tour, son père brûler sur le bûcher, son mari pendre au gibet des Halles, son amant découpé en quartiers sur le pont d’Amboise...
— Toi seule peux me comprendre, gémit Simon en adressant à Nanon le plus lamentable des regards. Toi seule sais encore quelle jeune femme admirable elle était...
— Et quelle dame elle serait devenue sans tout cela, approuva la vieille entre deux sanglots. Même si, ajouta-t-elle dans un souci d’honnêteté, je ne l’ai jamais vue très concernée par la tenue d’une maison...
Puis elle alla chercher, dans l’unique armoire de la maison, un drap bien propre, bien plié, qu’elle remit à son maître pour qu’il en recouvrît la jeune morte.
Poissy, couvent des Dominicaines.
Le coche de la reine Catherine, venant de Saint-Germain-en-Laye, se trouvait en vue de Poissy. Chez les dominicaines de cette ville se tenait alors une assemblée du Clergé, complémentaire des états réunis à Pontoise un peu plus tôt – l’objet de tant de colloques étant, comme toujours, le sauvetage d’un Trésor en souffrance.
Voyant les représentants de l’Église assez bien disposés, Catherine de Médicis avait eu l’idée d’en profiter pour les amener à disputer, sur le plan de la théologie, avec un certain nombre de prédicateurs réformés. La position de la reine mère était que les violences – et peut-être la guerre civile – ne pouvaient qu’être le fruit d’une ignorance mutuelle. Elle en était persuadée : qu’on laisse ces gens s’expliquer entre eux et se connaître un peu mieux, et la paix religieuse reviendrait en France !
C’était faire preuve d’une singulière naïveté, et tenir à peu de chose les profonds différends qui opposaient, à tous niveaux, fidèles du pape et adeptes de Calvin... Mais la foi de Catherine s’accommodait de bien des compromis ; elle devait supposer qu’il en était de même pour tout le monde.
La souveraine avait exigé, par politique autant que par faveur, de prendre avec elle, dans sa voiture, et le cardinal de Lorraine, champion de l’Église, et Théodore de Bèze, champion des Réformés. Comptant sur leur éducation, leur intelligence, leur volonté de plaire à tous deux, elle pensait pouvoir mettre d’accord ces deux maîtres avant le commencement des débats. Et de fait, le voyage fut doux : pimenté de saillies parfois sévères, mais assez policé, somme toute, assez courtisan même pour ne jamais dépasser les limites d’une honnête conversation.
— Messieurs, proclama la reine alors que le coche abordait le couvent, nous sommes à la veille d’une réconciliation générale. Vous en serez les grands artisans, et le mérite vous en reviendra.
— C’est à vous, madame, qu’il faudra porter tout son crédit, flatta le cardinal.
— A condition, fit observer l’envoyé de Genève, qu’il y ait un crédit...
Le réfectoire des dominicaines était méconnaissable, tant la pompe royale en avait habillé les murs et sublimé les volumes. Tout au fond, sur la tribune de velours bleu semé de lys d’or, siégeaient en majesté le nouveau roi, Charles IX, lui-même fleurdelisé, la reine mère Catherine en robe noire à longs voiles, le duc d’Anjou, frère du roi, sa soeur Marguerite de France, le roi et la reine de Navarre... Derrière eux, tout un aréopage de dignitaires, dont plusieurs farouchement convertis à la Réforme. Et devant, un carré de prélats et de théologiens, en grande majorité catholiques. Les quelques débatteurs calvinistes se trouvaient assis à gauche de la
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