Marin de Gascogne
du bateau de post ’, a b’soin d’un mat’lot d’renfort pour ç’voyag ’. Avec lui, tu s’ras à Toulous’en moins d’rien. Aut’ment, il t’faudrait des s’main’pour passer tout’ces hand’putain d’éclus ’ ! Lui, il a la priorité.
Dès le lendemain matin, Cousseau conduisit Hazembat jusqu’à Béziers à bord du houari de service. Le bateau de poste était une longue gabare pontée dont l’arrière était aménagé en une cabine pourvue de bancs. Sur chaque bord, deux larges coursives permettaient de parcourir toute la longueur de l’embarcation. A l’avant, en guise de figure de proue, se dressait une lame de faux.
— C’est, expliqua Caussade, pour trancher les toulines des chalands qui ne seraient pas assez rapides pour larguer leurs aussières sur notre passage.
La manœuvre du bateau de poste était facile, mais épuisante. A la dixième écluse, Hazembat cessa de compter. Par moments, la gabare arrivait à faire presque deux lieues à l’heure – quatre nœuds, traduisait Hazembat –, soulevant à sa proue une vague d’étrave jaunâtre. Il fallait alors avoir l’œil pour courir de bout en bout de la coursive afin d’écarter une coque ou se dégager d’un embarras de chalands.
Quelques jours plus tard, un peu avant midi, il franchit la porte de la grande écluse de Toulouse, qui débouchait sur la Garonne en amont de Blagnac.
Après avoir pris congé du patron Caussade, Hazembat escalada la digue qui séparait le canal de la rivière et découvrit la flottille des couraus toulousains. Il y avait relativement peu d’embarcations au mouillage, signe que les eaux étaient hautes et que la plupart des bateaux se trouvaient sur la rivière.
Il erra un moment à la recherche d’une auberge où il pût se renseigner sur les couraus en partance pour l’aval. Entre deux chantiers de construction, le hasard l’amena devant une bâtisse d’assez bon aspect sur laquelle s’étalait une inscription en grandes lettres noires : Angel Labat. Forge et chaudronnerie.
Toute la partie de droite était occupée par un vaste atelier d’où provenait un grand tintamarre de ferraille-ments et de martèlements. La gauche était une maison d’habitation à un étage devant laquelle était assise une femme brune avec un tout petit enfant au maillot, à qui elle donnait le sein.
Après avoir hésité un moment, Hazembat s’avança et demanda :
— Pardonnez-moi, madame, est-ce ici qu’habite Angel Labat ?
— Oui-da, mais il n’est pas à la maison maintenant. Si vous avez une commission à lui faire, je suis sa femme.
— Non, c’est par hasard que j’ai vu le nom. Je m’appelle Bernard Hazembat et je suis de Langon.
Il la vit aussitôt se rembrunir.
— Vous pouvez l’attendre. Il ne va pas tarder.
— C’est son enfant que vous avez là ?
— Oui, le troisième. Les deux premiers ont trépassé.
— Comment s’appelle-t-il ?
— François.
— Comme son grand-père ?
Elle ne répondit pas et posa le bébé dans la bercelonnette, renoua son corsage, puis, prenant l’enfant, rentra dans la maison dont la porte se referma.
Un peu surpris par cet accueil, Hazembat allait tourner les talons quand il vit arriver Angel Labat à grands pas sur le quai. C’était toujours le même Capdemule, un peu empâté par la quarantaine approchante, mais encore portant beau.
Quand Hazembat se présenta, l’autre fronça ses sourcils têtus.
— Hazembat ? Oui, je me souviens. Ecoute, mon garçon, j’ai rompu une fois pour toutes avec les Langonnais et je n’ai pas envie d’entendre parler d’eux.
— On m’avait dit que vous aviez renoué avec votre père.
— Si l’on veut. Depuis qu’il a renoncé à ses chimères jacobines, je ne lui interdis pas de venir embrasser ses petits-enfants. De toute façon, c’est moi que ça regarde.
Comme Hazembat faisait mine de s’en aller, il ajouta :
— Je vois à ton uniforme que tu es dans la marine. Il ne sera pas dit que je refuserai de l’aide à un marin. Est-ce que je peux faire quelque chose pour toi ?
— Je cherche un bateau en descente.
— Tu vois ce courau jaune et vert ? C’est le Phébus. Il appareille cet après-midi pour Bordeaux. Dépêche-toi et dis au patron Escarguel que je lui fais dire de te prendre à bord.
Escarguel n’eut pas l’air enchanté de se voir imposer un passager,
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