Marin de Gascogne
sûr, mais, il fallait bien qu’il se l’avoue, il n’avait jamais résisté à la tentation d’exercer sur les filles la rude séduction que semblait leur inspirer son visage taillé à la serpe et l’envergure de ses bras noueux. « Tu pilotes comme on fait l’amour à une femme qu’on aime », lui avait un jour dit Bottereaux et il y avait quelque chose de cela dans son insatiable désir de découvrir toujours des horizons nouveaux.
Il y songeait encore le lendemain en prenant la gondole pour Bacalan. Les chantiers de construction étaient moins animés que lorsqu’il y avait rendu visite à Jantet en 1794. Les ateliers de forge étaient situés tout au bout de la grande cale. Quand il le vit, Lanusquet Dumeau lâcha la masse avec laquelle il martelait un morceau de fer rougi.
— Vivant, Bèrnard ! que sospresa !
Ils se donnèrent l’accolade et Lanusquet, ayant demandé la permission à son chef d’atelier, ils sortirent au soleil.
La nouvelle des accordailles parut ravir Lanusquet.
— Pouriquète ne pouvait pas mieux tomber ! Ainsi, le vieux Capulet s’est laissé fléchir ?
— Ça n’a pas été sans mal.
— J’espère que ça se passera aussi bien pour moi. Tu sais que je fréquente Françoise Despujols, celle qu’on appelle Périssète ?
— La fille de Despujols qui est marin chez Artimon Billon ? Mais c’est un bébé !
— Tu retardes, Bernard : elle a dix-huit ans cette année.
— Le père Despujols doit être d’accord ?
— Lui oui, mais mon père, c’est autre chose. Il commence à oublier qu’il a été marin lui aussi, avant de devenir Monsur Dumeau et de faire fortune.
— Comment comptes-tu t’y prendre ?
— Oh, il finira bien par se faire une raison. Et s’il me déshérite, tant pis : j’ai des idées qui vaudront de l’argent, elles aussi ! Tu connais Fulton ?
— Non.
— C’est un Américain qui a inventé un bateau en fer capable de naviguer sous l’eau. Ça fait cinq ans qu’il essaie de convaincre le gouvernement français. Avec une demi-douzaine de bateaux comme ça, il aurait vite fait de la traverser, la Manche, Bonaparte !
— Les bateaux, c’est fait pour aller sur l’eau, pas dessous.
— Les bateaux en fer peuvent aussi aller sur l’eau.
— Le métal, ça ne flotte pas.
— Et qu’est-ce que tu fais du revêtement de cuivre dont on recouvre les coques, maintenant ? Ça ne les fait pas couler, les bateaux ! Deux pouces de fer, ça ne pèse pas plus lourd qu’un pied de chêne et c’est drôlement plus solide !
— Tout de même, j’aurais peur de m’enfoncer.
Un coup de sifflet rappela Lanusquet à son travail. De nouveau, ils se donnèrent l’accolade.
— Sias hardit, Hazembat ! A bientôt pour les noces !
Le 22 Germinal, Hazembat débarqua à Rochefort et se rendit aussitôt au bureau de la marine. Il eut quelque mal à se faire introduire auprès de Leblond-Plassan qui le reçut dans un grand bureau ensoleillé.
— Hazembat ! tu tombes à pic ! C’est mon dernier jour dans ce bureau. L’amiral Latouche-Tréville vient de me confier le commandement de la Bayonnaise. C’est une corvette.
— Je la connais, commandant. Le maître charpentier est un de mes camarades d’enfance.
— Jean Rapin ? Alors, tu seras en pays de connaissance, parce que, naturellement, je n’ai pas l’intention de me priver d’un marin comme toi. J’ai mon plein à la timonerie, mais que dirais-tu d’être mon patron de chaloupe ?
— Je ne suis que matelot de l re classe, commandant.
— Je sais et j’essaierai de remédier à cette injustice. Dans la marine anglaise, le cock’s wain est en général un premier ou second maître, mais, chez nous, il n’y a pas de règle.
Hazembat était conscient du prix de l’offre qui lui était faite. Le patron de la chaloupe du commandant, même s’il n’en avait pas le grade, était un des hommes les plus importants du navire. Il était, en quelque sorte, le bras gauche du commandant comme le premier lieutenant était son bras droit.
— Je ne sais comment vous remercier, commandant.
— Ne me remercie pas. C’est à moi que tu rends service. J’ai besoin d’un homme de confiance, surtout pour la mission que nous allons entreprendre.
— Le débarquement en Angleterre, commandant ?
— Non, les préparatifs de débarquement sont
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