Marin de Gascogne
presser les uniformes et il sembla à Hazembat qu’on emmenait un officier blessé avec d’infinies précautions, probable ment le commandant.
Il tenait encore d’une main un bout du filet de l’Anglais à bord duquel il se préparait à se hisser, quand il sentit le cordage se raidir et le tirer en avant. Penché par-dessus le pavois, il entrevit un reflet d’eau noire entre les deux coques. Lentement, les deux navires se séparaient.
Laissant le Trojan à moitié désemparé tenter de faire route vers l’embouchure de la baie, le capitaine d’Es taing mit le cap nord-ouest et, suivi du Resolute, reprit la direction de l’île. Manifestement, l’amiral Lemercier ne désirait pas s’emparer du Trojan qui, en temps de paix, eût été une prise plus encombrante que profitable.
L’ Argonaute passa un mois dans l’île à réparer ses avaries. Il y avait là quelques baraques qui servaient de dépôts. Tous les deux ou trois jours, un sloop ou un schooner américain venait charger des armes et des munitions. Les blessés les plus mal en point furent évacués sur la terre ferme. Il y en avait trente-deux. Les autres étaient morts ou mourants. Au total, l’ Argonaute avait perdu soixante-treize hommes, un dixième de son effectif.
L’équipage du brick détruit qui s’appelait le Spite fut déposé de nuit sur la rive à proximité d’une garnison anglaise, mais quinze hommes, originaires des colonies, préférèrent se joindre aux insurgés.
C’est le 1 er mars 1778 que l’ Argonaute rallia Rochefort pour apprendre que, le mois précédent, la France était entrée en guerre contre l’Angleterre. Mal en point, l’ Argonaute dut passer au radoub et quelques permissions furent accordées. C’est ainsi qu’à la mi-avril, Pierre Rapin et Hazembat arrivèrent à Langon pour apprendre qu’ils avaient l’un et l’autre un enfant. Celui d’Hazembat était né le 4 avril et s’appelait Bernard : son parrain était Bernard Coutures, sergent au Royal Gascogne. Pour Perrot, qui avait épousé l’année précédente Jeanne Ducasse, fille d’un maître de bateau, c’était son premier-né. Il s’appelait Jean et était venu au monde le 15 mars.
L’ Argonaute resta dans les eaux françaises jusqu’au 22 mars 1781 où il appareilla pour l’Amérique dans l’escadre de l’amiral de Grasse. Entre-temps, Perrot et Hazembat eurent encore l’occasion de faire deux visites à Langon, ce qui eut pour effet de donner à l’un deux autres garçons qui s’appelèrent Jean comme leur aîné et à l’autre une fille qui s’appela Jeanne.
De Grasse gagna les Antilles où il se heurta à l’amiral Hood, puis, le 30 août, entra dans la baie de Chesa peake où il mouilla non loin de la petite île. L’équipage de l’ Argonaute eut la satisfaction de revoir l’épave du Spite encore intacte sur les hauts fonds. Le 5 septembre, l’amiral anglais Graves pénétra dans la baie avec vingt-quatre navires et attaqua les dix-neuf navires de l’escadre française. La bataille fut rude, mais manqua de conviction. On était loin du combat acharné entre L’ Argonaute et le Trojan. Il y eut des dégâts et des pertes de part et d’autre, mais aucun navire ne fut perdu. Graves finit par se retirer. Hazembat était un peu déçu : c’est tout au plus si l’ Argonaute avait tiré une dizaine de salves.
Le 19 octobre, le général anglais Cornwallis, coupé de la mer, livra sa dernière bataille à Yorktown, puis capitula.
Parmi les blessés français qui furent transportés à bord de l’ Argonaute, il y avait un Langonnais. C’était un marchand. Il s’appelait Etienne Dubernet et il avait vingt-six ans. Il avait laissé à Langon sa femme Radegonde Poudio et ses deux enfants survivants, Marie et Vital, pour s’engager dans l’expédition de Rochambeau. Un marine lui avait ouvert le crâne d’un coup de sabre et il ne se consolait pas du dommage infligé à sa chevelure par la profonde cicatrice qui allait du front à l’occiput.
Quand ils rentrèrent tous trois à Langon en 1783, après la paix conclue, Dubernet découvrit qu’il avait depuis deux ans une deuxième fille baptisée Marie elle aussi et surnommée Pouriquète – petite poulette en patois – à cause de son aspect gracile et frêle.
Mais il n’y avait pas que des naissances. Hazembat apprit la mort de sa mère, Marie, et de Jeanne, sa sœur, et Perrot celle de sa femme. Elles avaient été
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