Marseille, 1198
chacun
s’assit après que le vicomte eut pris place sur le haut siège qu’on avait
dressé pour l’occasion, car sa présence à ces réunions était rare.
Le viguier allait prendre la parole quand le
procurateur de l’hôpital du Saint-Esprit entra. Ansaldi portait la robe
habituelle des membres de l’ordre. Même s’il essayait de paraître indifférent
aux regards de Roncelin et Hugues de Fer, son visage osseux révélait son
inquiétude.
Il avait appris la veille, avant les consuls, le
retour de Roncelin et de Hugues de Fer. Il avait aussitôt fait chercher
Aurélien, mais celui-ci lui avait affirmé ne rien savoir. Il avait envoyé
quelques frères de l’hôpital interroger discrètement les gens de Fer et appris
seulement que les jongleurs italiens logeaient dans la tour du viguier.
Ansaldi avait passé la nuit à méditer. Que
s’était-il passé ? Avec la lettre envoyée à Rostang de Castillon, les
Italiens et le chevalier qui les accompagnaient auraient dû être emprisonnés
avec Hugues de Fer, ou subir un sort pire. Non seulement ce n’était pas arrivé,
mais Roncelin était libre. Comme il était impensable que les Baussenques aient
été vaincus par si peu d’adversaires, c’est qu’un accord avait été négocié
entre eux. Quel genre d’accord ? Castillon avait-il livré son nom ?
S’il l’avait fait, il ne doutait pas de sa mort
prochaine. Devait-il fuir ? Peut-être… Mais pour aller où ? Revenir à
Montpellier et expliquer son rôle au grand maître du Saint-Esprit ? Il
serait immédiatement jeté au fond d’un cachot ou exécuté. La honte retomberait
sur sa famille.
Et surtout, ce serait stupide de fuir si personne
ne savait rien ! Non seulement il reconnaîtrait ainsi sa culpabilité mais
il perdrait des années d’effort. Après avoir longtemps prié, il avait choisi
d’affronter son destin.
— Vous êtes en retard, noble procurateur,
remarqua Hugues de Fer d’une voix égale.
— Un malade à voir au dernier moment,
seigneur, je m’en excuse.
Il s’assit tout en remarquant, avec un pincement
au cœur, l’absence d’Aurélien.
— Je ne suis pas le dernier, dit-il.
— Le syndic des tanneurs ne viendra pas, fit
seulement Hugues de Fer qui poursuivit : Je vous ai réunis, honorables
consuls, pour vous raconter comment nous avons libéré notre vicomte. Je suis
venu avec deux de mes compagnons d’armes, le noble comte de Huntington (Robert
de Locksley fit un signe de tête) et le chevalier Guilhem d’Ussel.
Nous sommes partis sept, l’un des nôtres est mort
dans cette entreprise.
Roncelin se signa, imité par les consuls.
— Beaucoup de gens des Baux sont morts aussi,
dont Rostang de Castillon…
Quelques murmures se firent entendre mais Fer les
fit cesser d’un geste autoritaire.
— … Si je vous dis ceci, honorables
consuls, c’est pour que vous sachiez que ce fut une rude entreprise qu’aucun de
nous n’avait recherchée. Nous n’en sommes sortis vainqueurs qu’avec l’aide de
Notre Seigneur Jésus. Notre vicomte, le seigneur Roncelin, a été enlevé contre
son gré par Rostang de Castillon. On l’a forcé à abandonner ses droits sur la
ville…
Il y eut une nouvelle vague de murmures, mais
cette fois d’inquiétude. Ainsi Roncelin n’était plus vicomte ? Hugues des
Baux était-il le nouveau vicomte ?
— Le preux Guilhem d’Ussel, ici présent, a pu
reprendre cet acte extorqué et je l’ai détruit. Donc cette entreprise n’aura
été que ruine. Il faut maintenant que vous sachiez, honorables consuls de la
ville, que tout a été tramé et préparé par deux d’entre vous, qui sont cause du
trépas de beaucoup d’innocents.
Cette fois ce ne furent plus des murmures, mais
des exclamations d’étonnement et même quelques interjections de désaccord.
Seul Antoine Ansaldi ne dit rien, devinant qu’il
était perdu.
— Les Baussenques ont enlevé notre vicomte
pour le contraindre à renoncer à ses droits. Mais ils ont aussi laissé,
volontairement, le tissu brodé de la comète pour que je sois certain qu’ils
étaient les ravisseurs, car ils voulaient que je tente de délivrer mon
seigneur. Des deux motifs de cet enlèvement, le second était aussi important
que le premier, tant Hugues des Baux voulait m’écarter à jamais de son chemin.
» Mais il y avait une troisième intention à
cette abjecte entreprise. La plus scélérate à mes yeux, car il s’agissait de
faire assassiner Madeleine Mont
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