Montségur et l'enigme cathare
d’avoir oublié sa mission divine et
d’avoir rejoint les cohortes de Satan pour mieux tromper les âmes qui croyaient
encore à la Lumière. Le calvinisme, en particulier, par sa vision austère de l’ascèse
spirituelle, par son refus d’un salut obtenu autrement que par une illumination
personnelle, par son effort à vouloir définir le Juste au milieu d’un monde
foncièrement mauvais, a suivi des voies parallèles à celles empruntées par les
différents courants cathares. Bien sûr, la croyance à la transmigration des
âmes, qui est manifeste dans le catharisme, bien qu’elle n’ait jamais été
codifiée officiellement, a complètement disparu : c’est en une seule vie
que l’être humain peut espérer obtenir son salut, et il n’y a pas d’autre
expérience possible. Mais ce n’est pas un hasard si le calvinisme, doctrine
sévère et d’esprit très nordique, correspondant très peu au tempérament
méridional, s’est répandu facilement, et s’y est souvent maintenu, dans des
régions qui avaient été fortement marquées par le catharisme.
Mais tout cela relève de la spéculation intellectuelle et ne
concerne que certaines élites, ceux qu’on classe comme des maîtres à penser. De
la même façon que les clercs cathares avaient subi, d’une façon ou d’une autre,
l’influence de messages antérieurs, bogomiles, manichéens ou même orthodoxes, d’autres
clercs se sont emparés de la tradition cathare, l’ont mûrie et lui ont donné d’autres
prolongements. Il y a là un phénomène constant dans l’histoire de la pensée
humaine. Or, il ne faut pas oublier que le catharisme a aussi été vécu dans le
quotidien par un assez grand nombre de fidèles. Il serait surprenant qu’il n’ait
pas laissé certaines empreintes au niveau de ce quotidien, dans ce qu’on peut
appeler la « mémoire populaire ».
Ne parlons pas des symboles courants : ils se
maintiennent, même quand ils ont perdu leur valeur d’évocation et qu’on n’en
comprend plus la signification exacte. Il est évident que la Croix occitane, la
Croix cathare et la Croix huguenote sortent du même moule. C’est d’autant plus
net pour la Croix huguenote : elle a récupéré la colombe cathare, même si
elle ne recouvre pas exactement la même notion. Chez les calvinistes, la
colombe représente l’Esprit saint, et lui seul. Chez les Cathares, elle était
plutôt l’âme délivrée de l’emprise de Satan et qui attend le moment de prendre
son envol vers les régions supérieures.
C’est le sens qu’on peut donner à cette légende du pays de
Montségur, la légende de la fée qui apparaît sous forme de colombe, et qui se
confond aussi avec Esclarmonde. La fée a essayé de sauver un homme en lui
apportant richesse et bonheur : mais cette tentative ne pouvait réussir
que si l’homme respectait un interdit essentiel : ne pas la traiter de « fée »
– ou de « folle ». Dans d’autres versions, l’homme ne doit pas se
mettre en colère contre la fée, ou ne doit pas la frapper, même légèrement. Ou
encore, dans la légende poitevine de Mélusine, il ne doit pas connaître la
véritable nature de la fée, car il n’est pas encore capable de supporter cette
vision d’un être supérieur. À la limite, Mélusine peut très bien représenter la
Parfaite cathare qui essaie de sauver les êtres encore prisonniers des
illusions du monde, mais, dans un contexte chrétien orthodoxe, on l’a refoulée
dans les bas-fonds de l’inconscient, on l’a noircie en en faisant une « démone ». C’est la preuve que le message cathare,
message qui annonce la possibilité que tout être a de se purifier, n’a pas été
compris, et que le monde n’est pas encore prêt à retrouver la Lumière
originelle.
Il en est de même pour ces traditions concernant des femmes
mystérieuses que l’on rencontre parfois dans les vallées, auprès des sources ou
des rivières. C’est le cas dans la région de Rennes-le-Château, où ces femmes
sont appelées les mitounes . On raconte qu’elles
guettent les jeunes gens et les séduisent. Parfois, elles prennent l’aspect de
lavandières au bord d’un cours d’eau : on reconnaît là un thème populaire
très répandu, celui des « Lavandières de Nuit », et en Bretagne, elles
sont particulièrement maléfiques. Ne nous y trompons pas : dans l’esprit
des habitants des campagnes, ces fées, ces mitounes ,
ces « lavandières », comme les « Dames
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