Morgennes
piédestal, les habitants de Lydda se demandaient quel nouveau malheur cette profanation allait leur attirer. De vieilles folles aux yeux hagards suivaient le roi, la bave aux lèvres, en murmurant des imprécations.
Le roi marchait sous leurs regards, et ne donna pas l’ordre de les chasser.
Depuis combien de temps s’était-il tenu à l’écart des femmes ? Il compta sur ses doigts. Une, deux, t-t-trois… Cela faisait six années qu’il avait demandé à ne pas croiser de femmes. Et voici qu’il en revoyait de nouveau, quelques-unes. Elles lui faisaient pitié. Surtout, il se sentait lui-même misérable. « Je n’ai régné que sur un demi-royaume. Je ne suis qu’un demi-roi. »
Il poussa un profond soupir et atteignit l’entrée du mausolée. Un cercle de pierre en scellait l’ouverture. Sur son fronton, on lisait : « Mememto mori. » C’est-à-dire : « N’oublie pas la mort. »
Par une cruelle ironie du destin, les Arabes appelaient Amaury « Mori ». Ainsi, pour un roi aussi désemparé qu’il l’était en cet instant, cette inscription pouvait se lire : « N’oublie pas Amaury. » Était-ce ici sa tombe ?
Il appuya la main sur la porte de pierre ; mais elle ne bougea point.
— Ouvrez-moi ça ! commanda-t-il à ses hommes, en leur ordonnant d’attaquer la lourde porte au marteau.
Bientôt, celle-ci céda, et une sorte de râle jaillit du tombeau. Sur les digues de gravats, la plupart des habitants prirent leurs jambes à leur cou. Seule une minorité resta. Non par courage, mais par désespoir. Les murs de leur cabane s’étaient mêlés aux pierres d’un tombeau ? Eh bien, dorénavant, ils habiteraient ici. Ils y vivraient, et y mourraient.
— Crucifère, me voici ! murmura Amaury.
Et il entra le premier dans la tombe, une torche à la main.
Alexis le suivit, puis Guillaume, puis la dizaine d’hommes de l’escorte royale.
Ils commencèrent par descendre un court escalier dont les parois s’ornaient de peintures représentant le combat, puis le martyre, de saint Georges. À gauche, saint Georges quittait sa Cappadoce natale – cette région de montagnes où les habitants vivaient dans des trous creusés à flanc de parois. Ensuite, saint Georges se mettait au service de Rome, combattant les hérésies partout où elles se trouvaient. Il finissait par arriver dans une petite cité terrorisée par un dragon qui exigeait qu’on lui donnât chaque année une pucelle à dévorer. Quand toutes furent croquées, sauf la fille du roi, celui-ci décida finalement de résister et supplia saint Georges – qui passait par là – de vaincre le monstre.
Sur la droite du petit escalier, on pouvait admirer le combat de saint Georges et du dragon, qui s’avérait être une femelle. Si elle s’attaquait à la cité, racontait la fresque, c’est que ses habitants avaient volé ses œufs et tué son mari. Aveuglée de douleur, l’infortunée dragonne ne faisait que se venger. Quand il comprit quels malheurs étaient les siens, saint Georges fut saisi de pitié. Il fit un pacte avec elle. Il ne la tuerait pas. Mais en échange, elle devrait se convertir à la chrétienté, cesser de tourmenter les habitants de la cité, et rendre la princesse à son père.
La dragonne accepta ce marché, et pour tromper les habitants de ladite cité, se prêta même à une comédie où on la voyait, tel un petit chien tenu en laisse, suivre saint Georges à l’intérieur de la ville, puis s’en faire chasser par tous les habitants à grands renforts de signes de croix. Sa tâche accomplie, saint Georges repartit dans les marais de Noir Lac où vivait la dragonne. Quand il revint pour la seconde fois à la ville, à tous il dit :
— J’ai réussi.
Ce n’était vrai qu’à moitié.
Par la suite, saint Georges devait être torturé à cause de sa religion, et mourir en martyr. Ses partisans avaient construit ce tombeau, l’y avaient enterré, et l’avaient – croyaient-ils – à tout jamais scellé. Car nul ne devait savoir que saint Georges, en vérité, n’avait point occis de dragon. En éclatant au grand jour, cette information risquait de lui faire perdre sa couronne de saint.
Or, pour ses adorateurs, nul n’était plus digne que lui d’en être un. Car ses adorateurs étaient, outre les coptes (qui croyaient que saint Georges avait tué son dragon), les ophites – qui savaient qu’il l’avait épargné.
— Tout cela est extrêmement intéressant,
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