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[Napoléon 1] Le chant du départ

[Napoléon 1] Le chant du départ

Titel: [Napoléon 1] Le chant du départ Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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force à ressortir.
    La ville est là, offerte à sa jeune liberté.
    Il parcourt les boulevards, va rôder au Palais-Royal où, dans la pénombre des galeries, les femmes se pressent, aguichantes, inconvenantes, avec des airs de « grenadiers », vulgaires et provocantes.
    Il a dix-huit ans. Des femmes l’interpellent. Avec son uniforme froissé, ses cheveux raides, son regard avide et timide, sa jeunesse, ces promeneuses devinent ce qu’il cherche.
    Viendra-t-il ?
    Il hésite. Il s’éloigne. Il aborde l’une d’elles, avec froideur. Il veut savoir pourquoi elles ont choisi ce métier. Elles le rabrouent, grossières. Que veut-il, ce maigrelet, ce petit lieutenant ? Parler ? Elles ricanent. Ce sont des « bûches », pense-t-il. Stupides.
     
    Il rentre. Mais son sang brûle. C’est la première fois de sa vie qu’il est libre, qu’il peut se laisser conduire par sa curiosité et son désir.
    Il n’est pas, comme dans sa garnison de Valence, le jeune officier que les mères épiaient et qu’un geste osé avec leurs filles eût condamné à ne plus être reçu dans les salons.
    Il n’est plus le fils respectueux qu’une mère, des tantes, une nourrice, des grand-mères, toute une société corse, familles liguées, contraignaient au respect scrupuleux des bienséances et des coutumes.
    Il est seul dans une ville où les femmes, toutes ces femmes, semblent à conquérir, à louer.
    Et lui qui n’a jamais connu le plaisir du sexe est obsédé par leurs silhouettes offertes.
    Il s’astreint pourtant à combattre, à refréner son désir autant qu’il le peut.
     
    Il a pris dès son arrivée à Paris l’une de ces « voitures de cour » qui, pour un prix modique, vont jusqu’à Versailles où sont logés les bureaux du Contrôle général. Le coche est confortable, mais lent. Il faut plus de cinq heures pour atteindre, depuis Paris, la ville de la Cour et des ministères.
    Bonaparte fait antichambre, est enfin reçu, harcèle les employés du bureau des Finances, se fait ouvrir les dossiers, constate qu’il n’existe aucune pièce relative à la pépinière, s’en étonne, s’obstine. Pourquoi ces documents ont-ils disparu ? C’est le sort d’une famille qui est en question.
    À force d’insistance, de lettres, de visites à Versailles, il obtient une audience du Premier ministre, Mgr de Brienne, archevêque de Sens.
    Il se fait pressant, étonne le ministre par sa fermeté qui transparaît malgré le ton respectueux.
    Rentré à Paris, il lui écrit, reprend tous les arguments, puis laisse percer son indignation, sa susceptibilité. Après tout, dit-il, « il ne s’agit que d’une somme d’argent qui ne compense jamais de l’espèce d’avilissement qu’éprouve un homme de reconnaître à chaque moment sa sujétion ». Et il conclut que, si le dédommagement dû est accordé, Mgr de Brienne y gagnera la gratitude des Bonaparte, et surtout « ce contentement intérieur, paradis de l’homme juste ».
     
    Il attend une réponse. Il traîne dans Paris, va au théâtre, se grise de lumière, de ce parfum d’une ville aux moeurs libres où il se sent anonyme avec pour seul frein sa morale, le sens du devoir qui l’habite, les préoccupations hautes qu’il retrouve lorsqu’il est seul dans sa chambre et qu’il reprend la plume et la laisse courir sur le papier.
    Il disserte, compare Sparte et Rome, l’amour de la gloire qui est le propre des monarchies, et celui de la patrie, qui est la vertu des républiques. Il rend hommage aux Anglais qui ont accueilli non seulement Pascal Paoli, mais le baron de Neuhof qui, en 1753, avait réussi à libérer la Corse de l’occupant génois.
    Il écrit, et ce ne sont pas des phrases sèches qu’il trace, mais des mots de passion, comme un écrivain qui laisse agir son imagination, qui invente une lettre du baron de Neuhof à l’homme d’État anglais Horace Walpole.
    La Corse, son destin font battre ces phrases.
    « La vénalité de l’âge viril ne salira pas ma plume, écrit-il à onze heures du soir dans sa chambre de l’hôtel de Cherbourg en ce mois de novembre 1787. Je ne respire que la vérité, je me sens la force de la dire. Chers compatriotes, nous avons toujours été malheureux. Aujourd’hui membres d’une puissante monarchie, nous ne ressentons de son gouvernement que les vices de sa constitution et aussi malheureux, peut-être, nous ne voyons de soulagement à nos maux que dans la suite des siècles. »
    Il se

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