[Napoléon 1] Le chant du départ
contraire est un “adage impolitique”. »
Napoléon exaspère.
Il parle avec vigueur. Il a réponse à tout.
Les passions sont si exacerbées que certains officiers se détournent quand ils le croisent.
À l’auberge des Trois Pigeons où Napoléon a repris ses habitudes, on refuse de s’asseoir près de cet « enragé démagogue » qui tient des propos « indignes d’un officier français élevé gratuitement à l’École militaire et comblé des bienfaits du roi ».
Napoléon entend. Il ne cherche pas l’incident. Il ne réagit même pas quand un officier, le lieutenant Du Prat, lance à la servante qui a placé son couvert près de celui de Napoléon : « Une fois pour toutes, ne me donnez jamais cet homme pour voisin. »
Mais, à quelques jours de là, Napoléon tient sa revanche.
Du Prat s’est avancé jusqu’à la fenêtre alors que des patriotes défilent. Il se met à chanter sur un ton provocant l’air des aristocrates, Ô Richard, ô mon roi .
Le cortège s’arrête, on se précipite pour écharper l’officier royaliste, et c’est Napoléon qui s’interpose, le protège et le sauve.
On connaît Napoléon. Il est membre de la Société des Amis de la Constitution en compagnie de quelques officiers, de soldats et de personnalités.
Napoléon a retrouvé, au sein du club révolutionnaire, le libraire Aurel. On se donne l’accolade. Napoléon monte à la tribune pour dénoncer la fuite du roi, l’attitude du marquis de Bouillé, « l’infamie » de cet officier. Il parle avec une éloquence nerveuse faite de courtes phrases scandées. On l’acclame. On le charge de la fonction de secrétaire. On le nomme bibliothécaire de la Société.
Le 3 juillet, on se réunit pour condamner le roi.
« Il faut qu’il soit jugé », déclare Napoléon. En quittant Paris, Loui XVI a trahi. Un soldat s’avance et crie au nom de ses camarades : « Nous avons des canons, des bras, des coeurs, nous les devons à la Constitution ! »
Le 14 juillet, toute la population de Valence, les troupes, les corps constitués, la garde nationale, l’évêque et son clergé se rassemblent au champ de l’Union.
Napoléon est en avant des soldats du 4 e régiment. Son frère Louis est dans la foule en compagnie de Mlle Bou.
On chante le Ça ira . On prête serment, on crie : « Je le jure. » Puis l’évêque célèbre un Te Deum . Et tout le monde en cortège rentre à Valence.
Les plus ardents patriotes se réunissent dans la salle de la Société des Amis de la Constitution, où une table a été dressée pour un banquet.
Napoléon, à la fin du repas, se lève. On l’acclame. Il est l’un des officiers patriotes les plus connus de la ville. On lui fait confiance. Il a prêté le nouveau serment exigé des militaires. Il se dit républicain. Il pense qu’il faut juger le roi.
Il porte un toast, lève son verre à ses anciens camarades d’Auxonne et à ceux qui, dans la cité bourguignonne, défendent les droits du peuple.
« Vive la Nation ! » crie-t-il.
Le soir, il est si exalté qu’il ne peut s’endormir. Ce bouillonnement de toute une population, de tout un pays entraîné dans le tourbillon révolutionnaire, chaque jour apportant un fait nouveau, l’oblige à tout instant à faire un nouveau choix. Comment trouver le repos ?
Il écrit à son frère, à Naudin, son ami resté à Auxonne. L’écriture, comme il le dit en s’excusant, est un « griffonnage ».
« S’endormir la cervelle pleine de ces grandes choses publiques et le coeur ému par des personnes que l’on estime et que l’on a un regret sincère d’avoir quittées, c’est une volupté que les grands épicuriens seuls connaissent. »
Il ne peut cesser de questionner l’avenir.
« Aura-t-on la guerre ? » se demande-t-il en ce mois de juillet 1791. Il en doute. Les souverains d’Europe, par crainte de la contagion révolutionnaire, préféreront attendre que la France soit déchirée par la guerre civile.
Mais les rois se trompent. « Ce pays est plein de zèle et de feu », conclut Napoléon. Même le régiment est très sûr : « Les soldats, sergents et la moitié des officiers » sont favorables aux nouveaux principes.
S’endormir, une fois le papier plié, l’adresse écrite ?
Impossible.
Napoléon reprend ses cahiers.
Il a entrepris sa première oeuvre véritable.
L’Académie de Lyon offre un prix de douze cents livres à l’auteur du meilleur
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