[Napoléon 2] Le soleil d'Austerlitz
veut pas ? Il s’approche de Joséphine, courroucé, et brusquement il croise le regard d’une jeune femme, qui le fixe avec un mélange de soumission et d’invite. Elle est grande, vêtue d’une robe de soie bleue, les épaules nues. On devine la naissance de ses seins. Il incline la tête vers Joséphine et s’arrête devant la jeune femme. Qu’on ose l’empêcher de parler et de voir qui il veut, comme il veut !
Qui est-elle ? Mme de Vaudey, répond la jeune femme en se courbant avec élégance. Il l’attend, dit-il. Il lui donnera ses ordres ce soir. Il s’éloigne déjà avec un sentiment de plénitude. Il rejoint les princes allemands, qui l’interrogent.
Il se rendra, répond-il, à la cathédrale pour s’incliner devant le tombeau de l’Empereur Carolus Magnus, et méditer devant les reliques conservées. Il veut voir l’épée de Charlemagne. C’est avec elle que cet Empereur a pacifié l’Europe. Peut-on renoncer au glaive si l’on recherche la paix ? Il veut, dit-il, que son sacre à Paris rappelle la grandeur de Charlemagne. Car son plus grand désir est de faire de l’Europe une terre de paix et de bonne administration.
Il veut que Charlemagne soit son « auguste prédécesseur ».
Il sort de la salle, regagne sa résidence et ordonne à Constant de trouver Mme de Vaudey, dame du Palais, et de la conduire jusqu’à lui cette nuit même.
Il n’imagine pas qu’elle puisse refuser. Il y avait dans ses yeux cette flamme qu’il voit maintenant dans le regard de presque toutes les femmes, le désir d’être choisie, l’appel et l’offrande. Il est l’Empereur.
Elle est venue. Belle, jeune, curieuse et gaie, avec une pointe d’impertinence qui a donné de la vivacité à leurs rapports, mais dont en même temps il se méfie. Il la sent aussi, dès cette première nuit, avide, soucieuse de son avenir, pensant déjà à sa nouvelle situation à son retour à Paris.
Une femme doit recevoir sans exiger. Et celle-ci, il le devine, offre ses charmes comme un appât. Mais elle est plaisante, il est vrai. Et lorsqu’il la renvoie à l’aube, il se promet de la revoir, à Saint-Cloud ou aux Tuileries.
Puis il s’en va parcourir les rues de la vieille ville. Ici donc, Charlemagne régnait.
Il entre dans la cathédrale, voici le tombeau et les reliques de l’Empereur. Mais il est déçu par l’épée. La plupart des pièces les plus rares – le sceptre, la toge, le globe – se trouvent à Nuremberg. Il faut pourtant que son sacre ait la magnificence d’une cérémonie carolingienne.
Il avance dans la nef de la cathédrale, il entend ses pas résonner sous les voûtes. Y a-t-il plus grande entreprise que celle de reconstituer l’Empire de Charlemagne et d’imposer comme il le fit sa marque à l’Europe ?
N’ai-je pas déjà montré que rien ne m’est impossible ? Qu’il suffit de vouloir, de vouloir obstinément, passionnément, pour pouvoir ? Et que la Fortune, quand on lui fait confiance, dispose ses pièces de manière favorable sur le grand échiquier du monde ?
Il repart pour Krefeld, Juliers, Cologne, Coblence, Mayence. Il visite les fortifications de ces villes. Il fait arrêter la voiture sur la route qui longe le bord du Rhin et marche longuement, seul, contemplant le fleuve.
Il a maintenant une idée précise de ce que doit être la cérémonie du sacre. Elle se déroulera à Notre-Dame, et non aux Invalides. Il va donner l’ordre à l’architecte Fontaine de dégager la cathédrale, de façon qu’elle surgisse dans un espace ouvert. Qu’on démolisse les maisons qui se serrent autour d’elle, qu’on pave, en travaillant la nuit à la lueur des torches si le temps manque, la rue de Rivoli, la place du Carrousel, et le quai de la Seine. Il faut que les voitures avancent sur un sol nivelé, une voie à la romaine, et non par des rues que la pluie pourrait rendre boueuses. Car ce sera novembre, pour l’anniversaire de Brumaire. Et il faut donc presser les travaux.
Il remonte en voiture. Il imagine cette cérémonie, Notre-Dame pleine de vingt mille personnes. Il pense aux costumes, à la cape qu’il veut porter, à l’épée et à la couronne. Il ordonne qu’on les confectionne, car, après tout, s’il est le continuateur de Charlemagne, il est aussi l’inventeur de son propre Empire, le fils d’une révolution sans équivalent.
Il doit, et c’est sa tâche, nouer les fils entre Charlemagne et lui, et c’est pourquoi il tient à
Weitere Kostenlose Bücher