[Napoléon 2] Le soleil d'Austerlitz
la présence du pape, à Notre-Dame.
À Cologne, dans le palais impérial où il a établi sa résidence, il écoute les longues acclamations de la foule. Il n’est pas une ville traversée qui ne lui ait fait un accueil triomphal.
Il s’attarde quelques instants devant la fenêtre. La place ne désemplit pas depuis qu’il est entré dans le palais. Mais rien ne sert de contempler longtemps ce peuple enthousiaste. C’est l’avenir, qu’il faut préparer. Et celui-ci sera dessiné par la cérémonie du sacre. Il appelle Méneval et, ce 15 septembre 1804, commence à dicter.
« Très Saint-Père,
« L’heureux effet qu’éprouvent la morale et le caractère de mon peuple par le rétablissement de la religion chrétienne me porte à prier Votre Sainteté de donner une nouvelle preuve de l’intérêt qu’elle prend à ma destinée et à celle de cette grande nation dans une des circonstances les plus importantes qu’offrent les annales du monde. »
Il va à nouveau vers la fenêtre. La foule est toujours là, devant le palais impérial.
S’il continue son oeuvre, alors il sera dans la lignée de Charlemagne. Et ne s’est-il pas inscrit déjà dans les « annales du monde » ?
Il reprend :
« Je prie Votre Sainteté de venir donner au plus éminent degré, le caractère de la religion à la cérémonie du sacre et du couronnement du Premier Empereur des Français. Cette cérémonie acquerra un nouveau lustre lorsqu’elle sera faite par Votre Sainteté, elle-même… »
Puis il convoque le général Caffarelli, l’un de ses aides de camp.
Il apprécie cet officier, dont le frère aîné est mort à Saint-Jean-d’Acre. C’est lui qui va porter la lettre au Saint-Père. Il n’est pas évêque, comme le voudrait la tradition. Mais son frère est évêque de Saint-Brieuc, n’est-ce pas ?
Napoléon sourit puis, tout à coup grave, il dit à Caffarelli : « Traitez le pape comme s’il avait deux cent mille hommes. » Il a déjà dit cela autrefois, mais il veut répéter cette phrase. Le pape est une puissance qui enrégimente les âmes, mieux qu’une division et ses baïonnettes.
Napoléon va et vient dans la grande pièce sans regarder Caffarelli et Méneval. Il ne parle pas pour eux, mais comme s’il voulait mettre au point pour lui-même ses idées.
« Ce qu’on doit considérer ici, dit-il, c’est si cette démarche auprès du pape est utile à la masse de la nation. »
Il le croit.
« C’est un moyen de nous attacher les nouveaux pays », reprend-il.
Que pourront-ils me reprocher lorsque je serai sacré par le pape ?
« Ce n’est qu’en compromettant successivement toutes les autorités que j’assurerai la mienne. »
Il revient vers le général Caffarelli, aspire plusieurs prises de tabac.
— C’est-à-dire celle de la Révolution que nous voulons consolider, conclut-il.
Mais qui comprend son « système » ? Et ce mécanisme qu’il a mis en route dès le 18 Brumaire fonctionnera-t-il ? Acceptera-t-on cet Empire français dont il veut masquer, sous l’or du sacre et l’onction pontificale, l’origine révolutionnaire ?
Il a repris la route, atteint Mayence. Est-ce la fatigue ? Les traits de son visage se sont creusés. Il apprend que l’Angleterre a saisi sans déclaration de guerre, des navires espagnols, et que, à Calmar, en Suède, les frères de Louis XVI ont du fond de leur exil condamné une nouvelle fois l’Usurpateur.
Moi, voué à l’enfer, malgré tous les Te Deum auxquels j’assiste, malgré les bénédictions des évêques que je reçois dans chaque ville depuis le Concordat !
Moi, que l’on n’accepte pas, contre lequel des rois se liguent !
Il regarde avec une moue de mépris les princes allemands qui l’entourent, dans la grande salle illuminée du palais de l’Électeur. Il ne répond pas à leurs questions sur ses intentions. Il dit simplement :
— Il n’y a plus rien à faire en Europe depuis deux cents ans. Ce n’est que dans l’Orient que l’on peut travailler en grand.
Il fait une grimace, comme pour les convaincre qu’il prononce ces mots afin de leur masquer ses projets.
Mais, en s’éloignant, il pense à l’Égypte, à cette route qu’il avait voulue et rêvé d’ouvrir vers l’Inde, comme Alexandre.
Mais peut-être Charlemagne pensait-il déjà à ce conquérant-là ?
Le lendemain, dimanche 30 septembre 1804, il ordonne qu’on rassemble, hors les murs de Mayence, les
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