[Napoléon 2] Le soleil d'Austerlitz
quitte son cabinet de travail et, d’un pas rapide, se rend dans les appartements de Joséphine. Les dames du Palais sont là. Il aperçoit Mme Duchâtel, Mme de Vaudey qui, audacieuse, lui fait un signe d’intelligence.
Il surprend le regard de Joséphine.
Peut-être sait-elle déjà ? Elle a l’intuition des femmes jalouses et anxieuses. Elle doit accepter ce que je suis .
Il répond d’un sourire à Mme de Vaudey et, sans un mot, il regagne son cabinet de travail.
Cette nuit, dit-il à Constant, « Mme de Vaudey ».
Il s’assied à sa table.
Il lit rapidement le rapport que lui adresse Portalis sur les résultats du plébiscite et, à chaque chiffre lu, il pousse une exclamation. Le total est de 2 962 458 votes, dont 120 302 pour l’armée de terre, et 16 224 pour l’armée de mer. Qu’est-ce cela ? !
Il prend sa plume, raye les derniers résultats, écrit 400 000 et 50 000, refait l’addition et pose pour total 3 400 000 votes. Il n’a pas modifié les 2 567 non . Portalis n’a-t-il pas compris que les nombres n’ont qu’une importance visuelle ? Peut-on laisser penser aux Anglais qu’il n’y a que 130 000 oui dans les armées ? ! Ces sénateurs, ces ministres, ces conseillers d’État qui n’existent que parce qu’il les a faits ne comprennent-ils donc pas que le pouvoir est d’abord une question d’apparence ? Il y a les mots. Et puis il y a les armes.
Ce sont mes résultats, que le Sénat proclamera avec la solennité nécessaire le 6 novembre. Qui s’avisera de les contester ? Je suis l’Empereur, le plébiscite n’a eu lieu que pour confirmer ce qui est. Autant que la confirmation soit éclatante .
La vérité ? Qu’est-ce que la vérité ? Ne suis-je pas l’Empereur des Français ?
Il songe aux jours à venir.
Il faudra que, dans le plus éloigné des villages, la plus reculée des vallées, on sache que je suis l’Empereur et qu’on raconte aux veillées la cérémonie du sacre comme on allait répétant qu’à Reims le roi guérissait, à la sortie de la cathédrale, les malades qu’il touchait .
Il veut tout voir. Le trajet et la composition du cortège, la place de chacun dans la nef de Notre-Dame, les uniformes des dignitaires. Il dresse la liste des personnalités qui assisteront à la cérémonie, et celle des délégations venues de tout l’Empire, et une fois l’acceptation du pape acquise, le 29 octobre, il s’impatiente du retard du souverain pontife à le rejoindre à Paris.
Le pape, après tout, n’est qu’un homme comme un autre. Et qui doit se plier à ce que j’exige, puisqu’il y trouve son intérêt .
Il écrit au cardinal Fesch, son grand-oncle, ministre plénipotentiaire à Rome, qui va faire le voyage de Rome à Paris en compagnie de Pie VII.
« Il est indispensable que le pape accélère sa marche. Je veux bien différer encore jusqu’au 2 décembre, pour tout délai. Et si, à cette époque, le pape n’était point arrivé, le couronnement aurait lieu, et l’on serait forcé de remettre le sacre. Il est impraticable de retenir si longtemps à Paris les troupes qui y sont appelées et les députations des départements, ce qui fait cinquante mille personnes. »
Il voudrait ne pouvoir compter que sur lui-même. Alors, il lèverait tous les obstacles. Mais il y a les autres, avec leur nonchalance, leurs aveuglements et même leurs jalousies et leurs haines. Leur avidité.
Souvent, il les fuit. Il galope seul, fouetté par le vent, serrant entre ses jambes son cheval et l’éperonnant.
Si les autres avaient la force et la docilité d’une monture, le gouvernement des hommes et des choses serait simple.
Il pense à cela chaque fois qu’il chasse dans les bois de Saint-Cloud ou chevauche en avant de sa suite, force le gibier que les chiens débusquent. Il aime ces courses. Durant quelques heures, il oublie les dossiers, le sacre même, tout à cette guerre entre lui et le gibier. Cette fatigue est saine. Elle le libère et l’apaise. Elle le revigore.
Au retour, il appelle Roustam, réclame un bain chaud, puis il attend la femme convoquée. Mme de Vaudey entre. Elle minaude, comme une coquette. Elle se fait tendre, mais c’est pour présenter un mémoire où sont consignés ses dettes et les noms de ses créanciers. Il paie. Un rapport de police l’avertit que Mme de Vaudey joue de grosses sommes. Pourquoi faudrait-il que je paie cher ce qu’on trouve à si grand marché ?
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