[Napoléon 2] Le soleil d'Austerlitz
effet être bien fou pour me faire la guerre.
Il sourit :
— Il n’y a pas en Europe une plus belle armée que celle que j’ai aujourd’hui.
Il quitte Fontainebleau pour le château de Saint-Cloud.
Il faut qu’il se calme, mais la chaleur est aussi lourde qu’à Fontainebleau. Il dort mal. Il bouscule Roustam et Constant, exige à tout instant la présence de Méneval. Il doit écrire pour que ses mots agissent sur les hommes comme des coups d’éperon. « Entrez dans la Manche, dicte-t-il pour Villeneuve, l’Angleterre est à nous. Paraissez vingt-quatre heures et tout est terminé. »
Quand le crépuscule vient, la chaleur desserre un peu son étreinte. Il sort pour entamer une trop longue nuit. Presque chaque soir, il se rend à l’Opéra ou au théâtre. Et, parfois, il fait venir les comédiens à Saint-Cloud. Mais pourrait-il rire aux Femmes savantes ?
Les questions demeurent en lui. Pourra-t-il ou non passer ce bras de mer, planter le drapeau tricolore sur la tour de Londres ?
Il s’approche des comédiens. Il aime ce milieu du théâtre, ces femmes provocantes, belles souvent, expertes presque toujours, et si faciles à conquérir.
Elles réussissent à le distraire. Talma parle avec ce talent de conteur qui transforme une petite histoire de lit entre une dame et un dignitaire en un grand moment de comédie ou de tragédie.
Pour quelques instants, tout s’efface, et ne reste que Talma. Napoléon regarde l’acteur, l’écoute, parle.
— Vous fatiguez trop votre bras, lui dit-il un de ces soirs de juillet, après une représentation de La Mort de Pompée . Les chefs d’Empire sont moins prodigues de mouvements ; ils savent qu’un geste est un ordre, qu’un regard est la mort, dès lors ils ménagent le geste et le regard… Ne faites pas parler César comme Brutus, quand l’un dit qu’il a les rois en horreur, il faut le croire ; mais non pas l’autre. Marquez la différence.
Mme de Rémusat s’approche. Pourquoi s’étonne-t-elle qu’il parle ainsi à Talma ? Ce n’est qu’un comédien, dit-elle, et l’Empereur paraît avoir plus d’égard pour lui que pour un ambassadeur ou même un général.
Il rit.
— Savez-vous bien qu’un talent, dans quelque genre qu’il soit, est une vraie puissance, et que moi-même, vous l’avez vu, je ne reçois point Talma sans ôter mon chapeau.
Et, ajoute-t-il dans un murmure :
— Il est aussi des femmes de grand talent.
Mme de Rémusat se dérobe. Est-elle donc devenue fidèle ? ! Mais il y a Mme Duchâtel, Mme Gazzini, et cette Émilie Leroy qui vient d’arriver de Lyon à sa demande, et qu’il a mariée à un M. Pellapra, un homme à argent bien compréhensif et à qui va être attribuée la charge de receveur des Finances à Caen, de quoi calmer ses scrupules s’il en avait.
Ainsi, les nuits de juillet raccourcissent encore. Et il y a l’aube, les rapports des espions posés en évidence sur la table de travail.
Ce sont eux que Napoléon commence toujours à lire.
Dans certains cafés, racontent les informateurs, on s’étonne que le 14 juillet n’ait donné lieu à aucune fête, on critique l’annonce de cérémonies et de bals pour le 15 août, la Saint-Napoléon. On persifle. On s’inquiète des bruits de guerre, d’une nouvelle coalition qui va ruiner la France. Certains affirment que va revenir le temps des assignats. On cache son or.
Il jette ces rapports par terre.
Est-ce qu’il veut la guerre ?
Un espion assure que le général Moreau, loin d’avoir gagné les États-Unis comme il s’y était engagé après son procès, demeure en Espagne et qu’il proclame partout qu’il va se mettre au service du tsar, prendre la tête d’une armée royale et en finir avec Bonaparte et la Révolution !
N’eût-il pas mieux valu que les juges condamnent Moreau à mort ?
Qui l’a gracié ? Moi. Qui trahit-il ? Moi et la France, sa patrie. Et il faudrait ne pas répondre ?
Le vendredi 2 août à trois heures du matin, alors que la nuit est encore pleine, il part dans sa grande berline pour Boulogne afin de rejoindre l’armée.
Aux relais, il saute de la berline avant même qu’on ait déplié le marchepied, et, les mains derrière le dos, le visage fermé, indifférent aux acclamations de la petite foule qui, chaque fois, se rassemble, il fait quelques pas devant les bâtiments de la poste, dans la cour. Il montre des signes d’impatience après seulement quelques minutes,
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