[Napoléon 2] Le soleil d'Austerlitz
ait qu’un régiment autrichien dans le Tyrol. Je veux qu’on me laisse faire tranquillement la guerre avec l’Angleterre.
Puis il dicte des courriers pour le ministre de la Marine, pour Villeneuve. Il faut, s’il le peut encore, le forcer à agir.
Puis il se laisse tomber, plus qu’il ne s’assoit, devant la table couverte de cartes.
Il les parcourt du regard, se lève, prise et, d’un signe, indique à Daru qu’il va dicter.
La voix est calme, les pas mesurés, les mots tombent avec précision. Il donne les lieux, les jours, les effectifs. Il semble suivre du regard la marche des troupes en Allemagne. Il fera, dit-il déferler sept torrents sous les ordres de Marmont, de Bernadotte, de Soult, de Lannes, de Ney, d’Augereau. Wurtzbourg, Francfort, Mannheim, Spire, Karlsruhe, Strasbourg, tels sont les buts de marche des sept armées. Il fixe les étapes, le nombre de kilomètres à parcourir, à 3,9 kilomètres par heure, les dépôts d’approvisionnement en vivres et munitions à constituer.
Il parle durant plusieurs heures, comme si, depuis des mois déjà, au-dessous de l’attente et de l’incertitude, un dispositif précis s’était mis en place qui surgissait, ce 13 août.
Il fera donc pivoter l’armée qui, à marches forcées, gagnera le coeur de l’Allemagne.
Il a fini.
Il semble découvrir Daru qui continue d’écrire, entouré des dizaines de feuillets qu’il a couverts de notes.
Tout est-il joué ?
Il ne veut pas encore lancer les dés. Tout est prêt pour l’une ou l’autre partie.
Si l’amiral Villeneuve paraît dans la Manche : « Il est encore temps, je suis maître de l’Angleterre, écrit-il à Talleyrand. Si au contraire mes amiraux hésitent, manoeuvrent mal et ne remplissent pas leur but, je n’ai d’autres ressources que d’attendre l’hiver pour passer avec la flottille. L’opération est hasardeuse. Dans cet état de choses, je cours au plus pressé. Je me trouve avec deux cent mille hommes en Allemagne et vingt-cinq mille hommes dans le royaume de Naples. Je marche sur Vienne et ne pose les armes que je n’aie Naples et Venise, et j’ai augmenté tellement les États de l’Électeur de Bavière que je n’aie plus rien à craindre de l’Autriche. L’Autriche sera pacifiée certainement, de cette manière, pendant l’hiver. Je ne reviens point à Paris, que je n’aie touché barre.
« Mon intention est de gagner quinze jours. Je veux me trouver dans le coeur de l’Allemagne avec deux cent mille hommes sans qu’on s’en doute. »
Il attend. Il pleut chaque jour, mais le vent est faible, la mer calme. Dans la nuit du 20 au 21 août, il est sur la falaise. Il appelle ses aides de camp : que tambours et clairons roulent et sonnent, que toutes les troupes fassent mouvement vers le port et embarquent.
Après quelques minutes, il entend monter du port les premiers cris mêlés aux tambours et aux clairons et, bientôt, c’est la rumeur des troupes en marche.
Il demeure jusqu’à l’aube debout sur la falaise.
Il pourrait sans la flotte tenter d’agir.
Il pourrait.
À la guerre, l’audace est le plus beau calcul du génie.
Mais ici, est-ce de l’audace, ou bien le pire des défauts d’un chef de guerre : l’ivresse de l’imagination, celle qui perd les batailles ?
Il rentre tête baissée dans sa baraque et donne l’ordre de faire débarquer les troupes.
Maintenant, sa décision est prise. C’est comme s’il avait été jusqu’au bout de l’une des hypothèses pour s’éprouver.
Il lit le courrier de Villeneuve que, le 22 août, lui transmet Decrès, le ministre de la Marine.
Il écrase la lettre dans son poing. Villeneuve s’est mis à l’abri et y demeure.
Aucune surprise, et pourtant la colère éclate.
Il hurle ce qui a grossi en lui au fil des jours :
— Villeneuve n’a pas le caractère nécessaire pour commander une frégate ! C’est un homme sans résolution et sans courage moral ! crie-t-il.
Il secoue la tête, les mains serrées dans le dos, le corps presque basculé en avant, comme s’il allait se précipiter sur quelqu’un.
— Deux vaisseaux espagnols sont abordés, quelques hommes sont tombés malades, un bâtiment ennemi est venu l’observer, le vent, le bruit de Nelson, et Villeneuve change ses projets ! C’est un pauvre homme qui voit double et qui a plus de perception que de caractère.
Napoléon prise, crache avec mépris.
— C’est un homme qui n’a aucune
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