[Napoléon 2] Le soleil d'Austerlitz
nécessaire.
Croient-ils qu’on gagne les guerres seulement avec des soldats ? Marbois, le ministre des Finances, se fait duper par cet Ouvrard, faiseur d’or qui, en Hollande, s’abouche avec tel ou tel banquier, lui-même en relation avec la City de Londres. Et ce sera la banque Baring – Pitt, donc – qui décidera de mes finances, si je laisse faire.
Il parle argent quelques minutes.
— De mon vivant, dit-il, je n’émettrai aucun papier-monnaie.
Il a en mémoire les assignats, de la monnaie qui fond entre les doigts. Louis XVI et Robespierre, à l’autre extrémité, ont eu le cou tranché pour des questions de finance.
Ce sont les banquiers qui, dans l’ombre, commandent les mécanismes de la guillotine.
— Je veux fonder, dit-il, et préparer pour mes successeurs des ressources qui puissent leur tenir lieu des moyens extraordinaires que j’ai su me créer.
Il n’attend pas qu’on l’approuve, se dirige vers l’Impératrice, ces jeunes femmes et les officiers qui les entourent.
Mais qui seront mes successeurs, si je meurs sans descendance ?
Il est au milieu des femmes. Aux côtés de Mme Gazzini et de Mlle Guillebaud, il y a des dames d’honneur de Caroline.
À croire que ma soeur choisit pour moi ces jeunes femmes.
Qu’espère-t-elle ? que je me sépare de Joséphine pour l’une d’entre elles ? Ou bien est-ce seulement pour blesser et humilier l’Impératrice, se venger de n’être pas les premières, que mes soeurs, car il en va de même d’Élisa ou de Pauline, agissent ainsi ?
La guerre, décidément, est un état naturel.
Un peu à l’écart se tient une jeune femme, jeune fille plutôt, tant son port est discret. Lyonnaise sûrement, parce qu’elle n’a pas cette impertinence parisienne des femmes de la Cour ou du Palais-Royal !
Il s’approche d’elle. Il l’interroge avec brusquerie. Elle se trouble, balbutie. François-Émilie Marie Leroy ? Il aime ces prénoms, dit-il. Elle est la première femme qui, pour lui, les porte. Il l’entraîne.
Il n’est pas, à la guerre ou en amour – mais n’est-ce pas la même chose ? –, l’homme des sièges, mais celui des assauts.
Joséphine accepte. Elle sait que je ne veux plus voir sa mine défaite par la jalousie. Elle est l’Impératrice, n’est-ce pas suffisant ?
Elle entre à mes côtés dans la cathédrale de Milan. Elle reçoit toute sa part de gloire, même si cette royauté italienne est seulement mienne.
Napoléon place lui-même sur sa tête la couronne de fer de roi d’Italie. La piazza del Duomo est remplie d’une foule enthousiaste qui l’acclame.
— Dieu me la donne, dit-il en touchant la couronne. Malheur à qui y touche.
Puis, plus bas, il ajoute :
— J’espère que ce sera une prophétie.
Il décide, quelques jours plus tard, de l’annexion de Gênes et de la Ligurie à la France. Il fait de la République de Lucques une principauté, confiée à sa soeur la princesse Élisa, qui règne déjà sur Piombino.
Les choses sont simples dès lors que l’on possède la force et la détermination.
Et qui pourrait m’arrêter ?
Le pape ? À Turin, Pie VII s’est montré aimable en échange de quelques concessions qui établissent dans le royaume d’Italie un régime religieux identique à celui du Concordat.
L’Angleterre aurait-elle les moyens de me faire la guerre ici ?
« Une nation est bien folle lorsqu’elle n’a point de fortifications, point d’armée de terre », confie-t-il à Caulaincourt.
Si l’on dispose des six heures nécessaires, l’Angleterre verra arriver « dans son sein une armée de cent mille hommes d’élite et aguerris… ».
Que pourra-t-elle contre moi ?
S’allier à la Russie ?
Le roi d’Angleterre et le tsar ont conclu un traité pour refouler la France dans ses frontières de 1789 et installer à Paris un gouvernement qui leur convienne et efface la Révolution. Qui le pourrait ?
« Il y a des gens qui me croient sans bile et sans griffes ! Écrivez-leur, pardieu, dit-il à Talleyrand, qu’ils ne s’y fient pas ! »
Qu’ils se frottent à moi, s’ils l’osent !
Il est sûr de lui.
Il retrouve les champs de bataille de sa jeune gloire, Marengo, Castiglione. Il entre parmi les acclamations dans ces villes qu’il avait conquises, Mantoue, Vérone, et dont il est le roi. Il visite Bologne, Modène, Plaisance, Gênes.
Il fait manoeuvrer trente mille hommes sur le champ de bataille de Marengo,
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