[Napoléon 2] Le soleil d'Austerlitz
et la garnison de Milan défile sur le Foro Bonaparte.
Il aime ces paysages, ces villes, ces ponts qu’il a franchis à la tête des armées. Il aime ce printemps italien. Il chevauche de longues heures et il lui arrive, en une journée, d’épuiser cinq chevaux.
Parfois, un souvenir douloureux revient.
Il est monté sur le parapet des fortifications de Vérone. Il regarde la ville dont les toits de tuiles composent un lac rouge.
« Mon pauvre frère Louis, dit-il, c’est ici, dans cette même ville et dans nos premières campagnes, qu’il éprouva l’accident le plus funeste. Une femme qu’il connaissait à peine viola son domicile. Depuis ce temps il est livré à des agitations nerveuses, variables selon l’atmosphère et dont il n’a jamais pu se guérir. »
Voilà les ombres qui reviennent.
Louis, malade, hostile, refusant de laisser adopter son fils aîné.
Lucien ?
Napoléon se confie à Caulaincourt, la voix dure, les gestes nerveux. « Lucien préfère une femme déshonorée, dit-il, qui lui a donné un enfant avant qu’il fût marié avec elle, à l’honneur de son nom et de sa famille. »
Ces pensées le blessent en cette chaude fin de juin 1805 qu’il passe à Gênes. Il regarde le lit qui fut, ont assuré les Génois en lui faisant visiter sa chambre, celui où coucha Charles Quint.
Il est cet homme-là qu’on compare aux plus grands, et aussi celui dont les frères refusent de l’aider. Il est cet Empereur sans fils.
Il reprend d’une voix amère.
Il ne peut que gémir, dit-il, du grand égarement de Lucien.
« Un homme que la nature a fait naître avec des talents et qu’un égoïsme sans exemple a arraché à de belles destinées et a entraîné loin de la route du devoir et de l’honneur. » Il va vers la fenêtre de sa chambre qui, dans le palais, domine le port de Gênes.
Trois frégates et deux bricks manoeuvrent, toutes voiles dehors. Il les regarde longuement.
Il a dû, il y a quelques heures, modifier son plan de descente en Angleterre. Villeneuve n’a pas été capable de rencontrer aux Antilles l’escadre de Missiessy. Toutes les manoeuvres prévues ont pris du retard. L’invasion de l’Angleterre aura donc lieu entre le 8 et le 18 août, et non pas en ce mois de juin.
Il s’accoude à la fenêtre, suit des yeux ces bateaux. Jérôme les commande. Jérôme, qui a accepté d’abandonner son épouse américaine et de se plier à la raison.
Peut-être est-il le seul de mes frères qui m’obéisse ?
Peut-être n’est-ce pas dans ma famille que je trouverai un appui ? Et si je n’ai pas de fils, sur qui puis-je compter ?
Peut-être sur Eugène de Beauharnais, qu’il vient de désigner vice-roi d’Italie.
Il dit à Roederer : « S’il se tire un coup de canon, c’est Eugène qui va voir ce que c’est. Si j’ai un fossé à passer, c’est lui qui me donne la main. »
Il a confiance dans ce jeune homme de vingt-trois ans, digne et courageux. Il voudrait l’aider, dans la tâche si difficile de gouverner les hommes.
« Nos sujets d’Italie sont naturellement plus dissimulés que le sont les citoyens de la France, écrit-il à Eugène. N’accordez votre confiance entière à personne… Parlez le moins possible, vous n’êtes pas assez instruit et votre éducation n’a pas été assez soignée pour que vous puissiez vous livrer à des discussions d’abandon. Sachez écouter… Quoique vice-roi, vous n’avez que vingt-trois ans… Montrez pour la nation que vous gouvernez une estime qu’il convient de manifester d’autant plus que vous découvrirez des motifs de l’estimer moins. Il viendra un temps où vous reconnaîtrez qu’il y a bien peu de différence entre un peuple et un autre. »
Le peuple ? Il l’observe, il l’écoute tout au long du voyage de retour en France, dans les premiers jours du mois de juillet 1805.
Dans les environs de Lyon, il fait arrêter la berline sur un chemin de traverse. La foule, dans les champs, va vers la route, sans doute pour l’acclamer, le voir.
Il descend de voiture et commence à marcher en se dirigeant vers la petite montagne de Tarare. Il éconduit ceux qui veulent le suivre. Il désire être seul, se mêler à la foule, voir le peuple.
Personne ne le reconnaît. Il monte lentement, interroge une vieille femme. Que fait-elle là ? L’Empereur va passer, dit-elle.
Il bavarde avec elle, guettant ses moindres mimiques.
Elle est le peuple qui vit loin des
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