[Napoléon 2] Le soleil d'Austerlitz
exalter le Premier consul. C’est lui qu’on honore, plus que la paix. Des émigrés rentrés d’exil, les ambassadeurs, les plus jolies femmes de Paris se pressent autour de lui, qui se contente de passer, souriant et distant.
« Du triomphe à la chute, il n’y a qu’un pas. »
Cette pensée, avec laquelle il joue, lui vient chaque fois qu’il connaît un succès, que la foule l’acclame.
L’idée que la gloire est fugitive, que le pouvoir dont il dipose reste précaire ne le tourmente pas. Elle est en lui, simplement, comme une réalité qu’il constate, qu’il ne doit pas oublier parce qu’il sait d’où il vient, et qu’il a vu, il le répète à Bourrienne, ce 12 avril 1801, « dans les plus grandes circonstances qu’un rien a toujours décidé des plus grands événements ».
Bourrienne lui tend les dépêches que vient d’apporter aux Tuileries le courrier du Nord.
Napoléon lit.
Le tsar Paul I er a été étranglé dans son palais, le 24 mars, et son fils Alexandre, sans doute complice des assassins, a été couronné. Officiellement, Paul I er est mort d’apoplexie. On exulte dans tous les milieux russes qui tenaient à l’alliance anglaise. On triomphe à Londres.
Napoléon s’est immobilisé au centre de la pièce.
Il froisse la dépêche au moment où entre dans son cabinet Fouché, qui vient d’obtenir par ses propres sources un récit de l’assassinat. Paul I er a été étouffé avec son écharpe et il a eu le crâne défoncé par le pommeau d’une épée, dans sa propre chambre. Les conjurés ont mis trois quarts d’heure pour le tuer.
Napoléon a une expression de révolte et de dégoût.
— Quoi ! s’exclame-t-il, un empereur n’est même pas en sûreté au milieu de ses gardes !
Fouché commence à expliquer que la Russie est coutumière de ces faits, mais Napoléon l’interrompt. Il veut rester seul avec Bourrienne.
Il va d’un bout de la pièce à l’autre.
Il pense à son propre destin, dans ce palais. Quoi qu’en dise Fouché, celui qui gouverne est toujours une cible. N’a-t-on pas voulu le tuer, il y a seulement quelques semaines, rue Saint-Nicaise ? Même si les tribunaux ont condamné à mort François Carbon et Saint-Réjeant, on n’a retrouvé ni Limoëlan, l’un des trois hommes qui ont conçu la « machine infernale », ni leur inspirateur, Georges Cadoudal. Et certains jacobins doivent continuer d’aiguiser leurs poignards. Et que dire des généraux ? D’un Moreau, d’un Bernadotte, jaloux, persuadés qu’ils pourraient occuper la place de Premier consul ?
Mais ce n’est pas le pire. Un côté de l’échiquier lui échappe.
— J’étais sûr de porter avec le tsar, dit Napoléon, un coup mortel à la puissance anglaise aux Indes. Une révolution de palais renverse tous mes projets !
Comment ne pas penser que derrière les assassins du tsar se cachent les Anglais, comme ils sont les bailleurs de fonds et les soutiens de Cadoudal ?
Londres veut à tout prix empêcher l’Europe continentale d’être en paix. Elle vient d’adresser un ultimatum aux puissances du Nord, qui, avec le Danemark, ont constitué une ligue des Neutres. L’Angleterre veut que les ports soient ouverts à ses marchandises, et elle s’arroge le droit de visiter tous les navires. L’escadre de Nelson vient, pour imposer ces exigences, de pénétrer en Baltique, afin de menacer Copenhague.
— Écrivez, dit Napoléon à Bourrienne.
L’opinion doit comprendre que l’Angleterre fait obstacle à la paix, « une paix nécessaire au monde ». Napoléon dicte quelques lignes qui doivent être publiées par Le Moniteur :
« Paul I er est mort dans la nuit du 23 au 24 mars. L’escadre anglaise a passé le Sund. L’histoire nous apprendra les rapports qui peuvent exister entre ces deux événements. »
Puis il répète : « Un empereur, au milieu de ses gardes. »
Le 21 avril 1801, le jour où François Carbon et Saint-Réjeant, deux des responsables de l’attentat de la rue Saint-Nicaise, sont guillotinés, Napoléon reçoit Monge et Laplace, deux savants qui sont aussi des sénateurs.
Napoléon montre le rapport de police qui raconte les détails de l’exécution.
Les deux chouans, au moment de monter sur l’échafaud, ont crié : « Vive le Roi ! »
Tourné vers Monge et Laplace, Napoléon dit lentement, comme s’il méditait à haute voix : « Il faut que le peuple français me souffre avec mes
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