[Napoléon 2] Le soleil d'Austerlitz
comme il se doit pour cent mille francs, Pichegru s’est battu plusieurs minutes avant d’être emporté, lié, enveloppé dans des couvertures, présenté à Réal et emprisonné aussitôt au Temple.
A-t-on le temps de se souvenir du général Pichegru, brillant, placé au sommet des honneurs, président du Conseil des Cinq-Cents, qui fut répétiteur de mathématiques au collège de Brienne et proscrit en 1797 quand, en fructidor, j’envoyai Augereau servir Barras ? !
Mais le temps manque pour penser au destin de Pichegru. Cadoudal reste libre.
Dans les heures qui suivent, on arrête MM. Armand et Jules de Polignac, et M. de Rivière.
Les voilà donc pris, ces représentants des aristocrates que pourtant j’ai tenté de rallier ! Et les chouans arrêtés prétendent dans leurs aveux qu’un prince est attendu pour, après ma mort, rallier le pays .
Un prince ? Un Bourbon ? Le comte d’Artois ? Le duc de Berry ? Qui d’autre ?
Napoléon lance à Talleyrand :
— Les Bourbons croient qu’on peut verser mon sang comme celui des plus vils animaux. Mon sang cependant vaut bien le leur. Je vais leur rendre la terreur qu’ils veulent m’inspirer. Je pardonne à Moreau sa faiblesse, et l’entraînement d’une sotte jalousie.
Sa voix s’élève, sèche, tranchante.
— Mais je ferai impitoyablement fusiller le premier de ces princes qui tombera sous ma main. Je leur apprendrai à quel homme ils ont affaire.
23.
Le jour se lève, le 1 er mars 1804. Napoléon a froid. Il a si peu dormi. Il reste un instant devant la cheminée, puis il va de son cabinet à la pièce où les cartes et les plans sont déployés. Il les regarde mais il s’en détourne presque aussitôt. Il ne veut pas, il ne peut pas penser à la « descente » en Angleterre. Il ne lit plus les courriers que lui envoie l’amiral Bruix. Plus tard, après, quand la conspiration sera écrasée et quand toutes les racines en seront arrachées, il pourra à nouveau penser à l’invasion, à la Grande Armée.
Mais l’heure n’est pas venue encore. Cadoudal rôde avec ses exécuteurs, ses « tape-dur ». Moreau se tait ou nie ; Pichegru, dans sa prison du Temple, tourne comme un chien enragé. Et l’opinion reste incertaine, pas encore convaincue, malgré les arrestations, de la réalité du complot.
Napoléon retourne à sa table de travail. Il a fait sortir des archives du ministère de la Police les pièces qui concernent la conspiration de Rennes, ces libelles rédigés et expédiés par des officiers proches du général Bernadotte. C’était il y a près de deux ans. Des placards avaient couvert les murs de Rennes.
Il retrouve les rapports de police qui reproduisent les textes de ces affiches parfois manuscrites :
Vive la République ! Mort à ses ennemis !
Vive Moreau !
Mort au Premier consul et à ses partisans !
Moreau ! La conspiration est donc profonde, ancienne. Il n’a pas encore réussi à plier ces quelques officiers qui, depuis plusieurs années, s’opposent souterrainement mais prudemment à lui.
Il se souvient. En 1797, au temps du 18 fructidor, Moreau avait saisi dans les bagages du général autrichien Klinglin des papiers qui révélaient que Pichegru, déjà, avait partie liée avec les princes et l’ennemi. Moreau n’avait remis ces papiers qu’au moment où l’échec des royalistes à Paris était avéré.
Voilà le vieux lien.
Il faut en finir.
Il convoque Roederer.
Il le regarde s’avancer. Roederer fait partie des hommes qui ont lié leur sort au sien.
Napoléon pousse vers Roederer les documents saisis par Moreau. Que Roederer les analyse.
Roederer s’indigne. Comment peut-on, dans l’opinion, accorder encore quelque crédit à Moreau ?
Napoléon va jusqu’à la fenêtre.
— On ne me connaît pas encore, dit-il d’une voix sourde. Je n’ai pas assez fait pour être connu.
Roederer s’étonne, secoue la tête.
— J’estime les Parisiens de cette défiance, reprend Napoléon. C’est une preuve qu’ils ne se livrent pas en esclaves au premier venu.
Il regarde à nouveau dehors.
— Je vous ai toujours dit qu’il me fallait dix ans pour exécuter mon plan, dit-il d’une voix saccadée. Je ne fais que commencer.
Il reste seul.
Il se sent fort. Il est fait pour présider aux grandes destinées du pays. Il est le seul capable de répondre à l’attente de la nation française. Il ne veut livrer la France ni à la haine de l’émigration,
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