[Napoléon 2] Le soleil d'Austerlitz
arrestation, à chaque aveu.
Il veut que Réal, chaque jour, lui apporte les résultats de l’enquête.
Il se calme, reste seul.
Réal, Murat et Savary ne voient qu’un aspect de cette guerre. Ce sont, comme sur un champ de bataille, de bons et fidèles exécutants. Mais lui, général en chef, imagine et pressent. Cette conspiration est à la mesure des enjeux du moment. Immenses. Donc, les ramifications doivent aller loin, profond. Parce qu’il s’agit, pour Londres, qui paie les conjurés et les transporte jusqu’en France, de gagner la guerre qui vient de commencer.
En me tuant pour briser l’énergie du pays .
Sur qui peut-elle compter ici ? Les vieux opposants, les généraux jaloux. Il pense à Moreau qui s’est retiré dans sa terre de Grosbois, dont les rapports des espions de police disent qu’il se moque des capucinades du Concordat, de la Légion d’honneur, du roi Premier consul. Il a, au cours d’un dîner, décoré son cuisinier de l’ordre de la Casserole. Sa femme est une créole d’une famille rivale de celle de Joséphine. Elle a refusé de porter le deuil après la mort du général Leclerc. Moreau, dont l’ambition et la jalousie recuisent depuis des années, est peut-être celui qu’à Londres on a choisi pour succéder au Premier consul.
Moreau ! D’autres généraux sans doute, Pichegru, qui est en exil à Londres, Augereau, Bernadotte ? Ils doivent attendre un signal. Et lié à eux, les Bourbons qui paradent, rêvent vengeance, rétablissement de la monarchie.
Napoléon tisonne le feu.
C’est la dernière épreuve avant la vraie bataille.
On a arrêté Picot, un domestique de Cadoudal, annonce Réal. On a arrêté Bouvet de Lozier, qui fut adjudant général de l’armée des Princes, et est le principal officier de Cadoudal.
Il a tenté de se suicider, dit Réal. On le ranime. Il veut parler. Voici ce qu’il a commencé à écrire : « C’est un homme qui sort des portes du tombeau encore couvert des ombres de la mort, qui demande vengeance de ceux qui par leur perfidie l’ont jeté lui et son parti dans l’abîme où il se trouve. »
C’est comme si le front ennemi, tout à coup, en un point, s’effondrait.
C’est là qu’il faut jeter toutes les forces. Réal doit interroger Bouvet de Lozier jusqu’à ce qu’il ait tout dit. Tout. Un homme qui a vu la mort n’est plus le même.
J’attends .
Le 13 février 1804, à sept heures du matin, Réal se présente.
Napoléon est dans son cabinet de toilette en compagnie de Constant. Il se rase.
Il interroge Réal du regard. Celui-ci a le visage marqué par une nuit d’insomnie.
Il est impatient, jette un coup d’oeil à Constant. Napoléon paraît ne pas prêter attention à la présence du valet de chambre.
— Bouvet de Lozier…, commence Réal, puis il s’interrompt.
— Les généraux Moreau et Pichegru…, reprend-il d’une voix aiguë, exaltée.
Deux noms qui tonnent, qui confirment ce que je pressentais .
Napoléon se précipite, met la main sur la bouche de Réal, l’entraîne dans sa chambre, loin de Constant.
Il écoute le rapport. Il imaginait et, pourtant, au fond de lui, il ne pouvait croire à la trahison de Moreau. Mais le témoignage de Bouvet de Lozier est accablant. Moreau a rencontré le général Pichegru, rentré en France par la falaise de Biville. Il s’est concerté à plusieurs reprises avec lui. Sur le boulevard de la Madeleine, Pichegru a organisé une rencontre entre Moreau et Cadoudal. Les trois hommes ont parlé plusieurs minutes ; selon Bouvet de Lozier, Cadoudal est parti furieux. Moreau et Pichegru souhaitaient certes renverser le Premier consul, mais à leur profit. Moreau remplaçant Napoléon, mais refusant de faire de Georges Cadoudal le troisième consul. « Vous travaillez donc pour vous seul, et nullement pour le roi ! a dit Cadoudal. S’il devait en être ainsi, bleu pour bleu, j’aimerais encore mieux celui qui s’y trouve. »
C’est bien la grande bataille. Napoléon s’indigne.
L’union a été tentée contre moi de tous ceux qui veulent m’abattre. Ils se déchirent déjà. Pourtant rien n’est gagné. Moreau est un général populaire, victorieux, que les soldats aiment, que le peuple croit républicain. Combien d’alliés a-t-il ? Qui, au Tribunat ou au Corps législatif, peut le suivre ? L’accuser alors que Cadou dal et Pichegru courent encore, c’est paraître commettre une injustice, c’est se conduire
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