[Napoléon 2] Le soleil d'Austerlitz
il est le centre.
— J’accepte le titre que vous croyez utile à la gloire de la nation, poursuit-il. Je soumets à la sanction du peuple la loi de l’hérédité.
Il parcourt du regard les personnalités réunies.
— J’espère que la France ne se repentira jamais des honneurs dont elle environnera ma famille. Dans tous les cas, mon esprit ne serait plus avec ma postérité le jour où elle cesserait de mériter l’amour et la confiance de la grande nation.
On l’acclame. Cela n’a duré que quinze minutes.
Il voit le visage creusé, tendu de Joséphine. Elle semble avoir peur.
Il reçoit Duroc, le gouverneur du Palais. Il veut, dit-il, une étiquette stricte. Que chacun donne à l’autre le titre qui lui revient. Joseph est Grand Électeur ; Louis, connétable ; tous deux altesses impériales ; Cambacérès, archichancelier ; et Ségur, grand maître des cérémonies. Dix-huit généraux sont nommés maréchaux.
— Duroc, vous serez le grand maréchal du Palais.
En fin de journée, Napoléon entre dans le salon. Ils sont tous là pour le dîner. Il s’avance. Il donne leur titre à chacun des présents, d’une voix impersonnelle, comme si ses frères, sa mère, ses soeurs étaient aussi éloignés de lui que Murat ou Cambacérès. C’est le jeu du pouvoir et de la vie. Des hochets ? Qui ne joue pas ?
Il aperçoit Caroline Murat qui se mord les lèvres, pleure. Élisa Bacciocchi manifeste elle aussi sa jalousie. Peu après la fin du repas, Caroline s’évanouit. Elle n’est pas princesse, sanglote-t-elle.
Napoléon va vers elle, s’adresse aussi à Élisa.
— En vérité, à voir vos prétentions, Mesdames, on croirait que nous tenons la couronne des mains du feu roi notre père, dit-il.
C’est lui, lui seul qui est l’origine.
Il le répète à sa mère, madame Mère désormais.
— J’entends exclure pour le moment de ma succession politique, dit-il, deux de mes frères, Lucien et Jérôme, l’un parce qu’il a fait, malgré tout son esprit, un mariage de carnaval, l’autre parce qu’il s’est permis d’épouser sans mon consentement une Américaine. Je leur rendrai leurs droits s’ils renoncent à leurs femmes.
Il traverse lentement le salon. Sur son passage, ses proches se taisent, s’inclinent.
Il est bien déjà l’Empereur. Il fixe Joseph, puis Louis.
L’un et l’autre doivent déjà penser à ma mort. Je suis sans descendance, et si je n’adopte pas les enfants ou les petits-enfants de mes frères, de Joseph et de Louis, ce sont eux qui me succéderont .
Mais de quoi puis-je être sûr ?
Tout cela durera-t-il après moi ?
Le lendemain matin, 19 mai 1804, il entend Constant pousser la porte de la chambre.
— Quelle heure est-il ? Quel temps est-il ? demande-t-il comme chaque matin.
— Sire, sept heures, beau temps.
Sire . Le premier matin.
Il pince l’oreille de Constant.
— Monsieur le drôle, murmure-t-il.
26.
Napoléon attend avec impatience la fin du dernier acte. On ne connaît le sort d’une pièce, dit-il à Fouché, que lorsque le rideau est tombé sur l’ultime réplique. Et le procès du général Moreau, de Cadoudal et de ses complices vient juste de commencer, ce 25 mai 1804. Peut-on faire confiance aux juges ? Il lit les rapports de police. Thuriot, le juge instructeur, est sûr. Il a été membre du Comité du salut public. Mais que penser du juge Lecourbe, dont le frère, général, a été proche de Moreau ? Et de quelles sympathies dispose encore ce dernier dans l’armée ?
Chaque soir, Napoléon se fait apporter le compte rendu des audiences. Il n’aime pas l’atmosphère de la salle telle que la décrivent les espions de police. Il s’indigne. De nombreux officiers viennent en civil soutenir Moreau. Ils ne respectent pas la consigne qui a été édictée afin de les retenir dans les cantonnements. Les premiers bancs sont occupés par des aristocrates venues des salons du faubourg et qui se pâment quand Cadoudal ou Armand de Polignac répondent avec arrogance ou ironie aux questions, ou bien quand Picot, le domestique de Georges, affirme qu’il a été torturé, qu’on lui a serré les doigts dans un chien de fusil.
Napoléon s’emporte. Quelle est cette comédie ? !
Quand il descend au salon, les soupirs de Joséphine et de Mme de Rémusat l’accueillent. Elles plaident avec leurs mimiques et leurs larmes, qui pour Polignac, qui pour Bouvet de Lozier.
Il a envie de
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