[Napoléon 3] L'empereur des rois
Chateaubriand l’occasion d’écrire quelques pages pathétiques qu’il lira dans le faubourg Saint-Germain. Les belles dames pleureront et cela le consolera ! » s’exclame-t-il.
Qu’on laisse la justice passer et qu’on exécute cet espion, cet émigré, ce traître, dans la plaine de Grenelle !
Il se sent revenu aux temps difficiles. Point d’ovations quand il s’assied dans la loge impériale au Théâtre-Français. Des regards presque affolés, comme s’il était porteur d’une malédiction.
Fontanes, le servile Fontanes, que j’ai fait grand maître de l’Université, s’approche, murmure, courbé comme un laquais : « Vous partez, et je ne sais quelle crainte inspirée par l’amour et tempérée par l’espoir trouble toutes les âmes. »
Leurs âmes ? Ou leurs rentes ?
Il ricane.
Ils n’ont jamais exposé leur poitrine aux balles, aux boulets, aux sabres. Ils sentent seulement que la partie qui s’engage est l’une des plus redoutables. Une coalition, et mon armée engagée en Espagne .
Il brandit devant Roederer les registres militaires.
— Oui, je laisse à Joseph mes meilleures troupes, et je m’en vais à Vienne avec mes petits conscrits et mes grandes bottes !
Et il lance d’une voix forte à Roederer, au moment où celui-ci sort :
— Je ne fais rien que par devoir et par attachement pour la France.
Mais peuvent-il concevoir cela, ceux qui se sont accrochés à mon pouvoir comme des parasites, pour en tirer tout le suc dont ils sont avides ? Croient-ils que j’entre dans cette guerre avec joie ?
Elle m’accable. Mais je ne peux que relever le défi .
Le jeudi 23 mars, il lit une dépêche qui vient d’être transmise par le télégraphe : « Un officier français a été arrêté à Braunau, et les dépêches dont il était porteur lui ont été enlevées de vive force par les Autrichiens, quoique scellées des armes de la France. »
Devrai-je accepter cela ?
À 16 heures, il convoque le comte de Montesquiou, grand chambellan.
Il dit d’une voix sourde :
— Faites savoir à M. le comte de Metternich que l’Empereur et Roi ne recevra pas ce soir.
Quelques mots prononcés et la guerre s’est encore approchée.
Il donne l’ordre à Berthier de partir pour l’Allemagne et de prendre le commandement de toute l’armée, dans l’attente de son arrivée.
Chaque jour, les dépêches qu’il ouvre annoncent que la guerre a fait un pas de plus. L’archiduc Charles proclame le 6 avril que « la défense de la patrie appelle à de nouveaux devoirs ». Le 11, la flotte anglaise attaque des navires français dans la rade de l’île d’Aix.
Le mercredi 12 avril, à 19 heures, Napoléon confère avec son aide de camp, Lauriston, et Cambacérès. Un courrier du maréchal Berthier est annoncé. D’un signe, Napoléon le fait entrer. Il lit la dépêche. Sa poitrine tout à coup est serrée par un étau, sa gorge prise. Ses yeux brûlent comme s’il pleurait. Puis il dit sans tourner la tête afin qu’on ne voie pas ses yeux, et les mots viennent lentement :
— Ils ont passé l’Inn, c’est la guerre.
Il partira donc cette nuit.
Il est calme maintenant. Au dîner, l’Impératrice insiste à nouveau pour l’accompagner. Il la regarde distraitement, dit : « Entendu. »
Dans son cabinet de travail, il dicte des lettres à Joseph, à Eugène. L’archiduc Jean serait entré en Italie, par Caporetto. Il faut le contenir, le refouler, marcher sur Vienne.
Il boit à petites gorgées du café. Il reçoit Fouché vers 23 heures. Il faut bien lui faire confiance pour tenir le pays, envoyer des espions dans toute l’Allemagne. Pas de guerre sans police et sans renseignement.
Il se couche à minuit.
Le temps est revenu des sommeils hachés.
À 2 heures, il se réveille. Partir, combattre, c’est son destin. Vaincre, c’est son devoir.
À 4 h 20, il monte dans la berline. Les lampes à huile sont allumées, les portefeuilles, pour qu’il puisse travailler, sont posés sur une banquette. Joséphine est assise dans un des coins de la voiture, les jambes enveloppées d’une fourrure. Il ne la regarde pas. Il donne le signal du départ. Il entend le galop de l’escadron des chasseurs de la Garde qui sert d’escorte.
C’est le refrain de sa vie.
24.
De temps à autre, quand la berline est trop secouée pour que Napoléon puisse lire ou étudier les cartes, il observe Joséphine. Elle dort. Les cahots de la
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