[Napoléon 3] L'empereur des rois
viendra-t-il ?
Il court les routes, les champs. Il est à Ingolstadt, dans le château royal, mais il repart aussitôt découvrir les hauteurs qui dominent le Danube.
À Ziegelstadel au milieu de l’après-midi du mercredi 19, il est épuisé, le corps moulu. Les troupes du corps de Davout passent. Un boulanger sort de sa maison, lui apporte un fauteuil de bois. Il s’y laisse tomber. Il sent les regards des soldats qui défilent à quelques mètres de lui. Il est fatigué comme ils le sont tous. Ils aiment ce partage, cette égalité dans la guerre. C’est son travail d’être là sur le bord de la route, sur le champ de bataille, et, la nuit, d’étudier les cartes, de conduire ces hommes à la victoire.
Il se redresse.
— Le travail est mon élément, dit-il à Savary en remontant à cheval. Je suis né et construit pour le travail. Je connais la limite de mes jambes. Je connais la limite de mes yeux. Je ne connais pas celles de mon travail.
Il arrive au château de Vohburg, la nuit est tombée. Il ouvre une fenêtre. Il lui semble entendre la rumeur du fleuve.
Si la partie se déroule comme il l’a prévu, si les hommes exécutent les plans qu’il a conçus, alors Vienne va tomber, et une fois encore, comme à Marengo, Austerlitz ou Friedland, il aura relevé le défi. Et, à Paris, les bavards, les blafards rentreront dans leurs trous. Mais jusques à quand ce tourbillon de guerres ? Dont les généraux se plaignent, il le sait.
Il est plus de 23 heures ce mercredi 19 avril. Demain, on livrera bataille. Il aperçoit, entrant dans la cour du château, la silhouette du maréchal Lannes, duc de Montebello. Peut-être le meilleur de ses soldats.
Lannes s’avance d’un pas lent dans la grande pièce éclairée par des cierges pris à l’église voisine.
Je connais bien sa fatigue. Elle est en moi aussi. Mais je suis l’Empereur .
— Combien de blessures as-tu ? murmure Napoléon.
Lannes hoche la tête.
— J’oublie tout lorsque le métier m’appelle, dit-il.
Blessé à Arcole, à Saint-Jean-d’Acre, à Aboukir, à Pultusk. Deux fois encore, avant Arcole.
Lannes va et vient, la tête baissée.
— Je crains la guerre, dit-il. Le premier bruit de guerre me fait frissonner. On étourdit les hommes pour mieux les mener à la mort.
— Est-ce moi ? murmure Napoléon en lui prenant le bras.
Ces guerres, l’Angleterre les organise, les provoque, même si celle-ci, c’est l’Autriche qui l’a suscitée.
Il parle, explique pour convaincre. Lannes a le courage d’un Murat et d’un Ney. Si même les meilleurs doutent…
— Commandez, Sire, dit enfin Lannes. J’exécuterai. Il faut que tous les officiers paraissent sur le champ de bataille comme s’ils étaient à la noce.
Un messager de Davout entre dans la pièce.
Avec son seul corps d’armée, Davout a battu toute l’armée autrichienne à Tengen. Elle recule sur Thann.
Napoléon pince l’oreille de Lannes, l’entraîne.
Nous allons vaincre. Je commanderai .
C’est déjà le jeudi 20 avril 1809. Il faut bien dormir quelques heures.
Il se lève à l’aube. Le brouillard couvre toute la campagne et il n’est pas dissipé quand Napoléon s’engage sur la route de Ratisbonne, jusqu’à ces hauteurs qui dominent Abensberg.
Autour de lui, il regarde ces chevau-légers bavarois et wurtem-bourgeois qui lui servent d’escorte.
Ces hommes-là vont-ils être fidèles ou bien, au premier choc, les régiments bavarois vont-ils se débander, passer à l’ennemi ?
Il se lance au galop et va se placer en avant de ces régiments. Et il donne le signal de l’assaut.
Si je dois mourir, quelle importance que ce soit d’une balle autrichienne reçue en pleine poitrine ou d’une balle bavaroise tirée dans mon dos ?
Mais je ne mourrai pas. Je ne le dois pas .
Après quelques heures, les troupes autrichiennes sont enfoncées, coupées en deux.
Il s’assied dans la grande salle de l’hôtel de la Poste, place du Marché, à Rohr. Il somnole de 2 heures à 4 heures du matin, puis il se lève d’un bond.
— Ne perdons pas une minute ! lance-t-il.
Il chevauche jusqu’au Danube. Les Autrichiens se sont rassemblés sur l’autre rive, dans la ville de Landshut. Encore un pont que les fantassins doivent traverser sous une grêle de balles.
Il les suit des yeux. Ils s’élancent, gagnent la rive opposée, mais se heurtent à la porte de la ville, refluent. Ils reculent, trébuchant sur les corps qui
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