[Napoléon 3] L'empereur des rois
d’exemple qu’un jeune homme de cet âge, allemand, protestant et bien élevé, ait voulu commettre un pareil crime.
Il prend plusieurs prises tout en marchant dans son cabinet.
Si cette haine est celle des peuples, si les souverains, de Prusse, d’Autriche, d’Angleterre, et le bel allié de Russie, et le pape, ont réussi à détourner contre moi l’incendie qui devait au contraire les menacer, si les peuples préfèrent le fanatisme à la raison, les coutumes et la religion au Code civil et aux Lumières, alors il me faut composer au plus vite, signer la paix avec Vienne à tout prix .
Et même, comme je le pensais déjà, m’unir à l’une de ces dynasties, puisque les peuples continuent de les défendre .
Qui épouserai-je ? Une princesse de Habsbourg ou une grande-duchesse de Russie ?
Mais il faut d’abord que rien ne soit connu de cet attentat. Les assassins ont toujours des imitateurs.
Il avertit Fouché.
« Un jeune homme de dix-sept ans, fils d’un ministre luthérien d’Erfurt, a cherché à la parade d’aujourd’hui d’approcher de moi. Il a été arrêté par les officiers et, comme on a remarqué du trouble dans ce petit jeune homme, cela a excité des soupçons ; on l’a fouillé et on lui a trouvé un poignard. Je l’ai fait venir et ce petit misérable, qui m’a paru assez instruit, m’a dit qu’il voulait m’assassiner pour délivrer l’Autriche de la présence des Français. »
Aussi important que le fait, il y a toujours l’opinion que l’on en tire.
« J’ai voulu vous informer de cet événement, reprend Napoléon, afin qu’on ne le fasse pas plus considérable qu’il ne paraît l’être. J’espère qu’il ne pénétrera pas. S’il en était question, il faudrait faire passer cet individu pour fou. Gardez cela pour vous secrètement, si l’on n’en parle pas. Cela n’a fait à la parade aucun esclandre ; moi-même je ne m’en suis pas aperçu. »
Il faut insister encore.
« Je vous répète et vous comprendrez bien qu’il faut qu’il ne soit aucunement question de ce fait. »
Il reste seul. Il ne craint pas la mort. Il s’approche de la table sur laquelle est posé le long couteau effilé que dissimulait Frédéric Staps.
Mon heure n’était pas venue. J’ai su depuis ma première bataille qu’il était inutile de vouloir se préserver des boulets. Je me suis abandonné à ma destinée. Être empereur, c’est vivre sans cesse sur un champ de bataille. Paix ou guerre, rien ne change pour moi. Dans la paix, les conspirations sont des boulets .
Mais il faut agir. Le destin est un grand fleuve sur lequel l’homme doit naviguer, utilisant le courant, essayant d’éviter les tourbillons.
Il appelle le ministre des Relations extérieures.
— Monsieur de Champagny, il faut faire la paix. Vous êtes en différend avec les plénipotentiaires autrichiens pour 50 millions de contributions. Partagez le différend. Je vous autorise à transiger à 75 millions si vous ne pouvez avoir plus. Pour le reste, je m’en rapporte à vous ; faites le mieux possible et que la paix soit signée dans les vingt-quatre heures.
Il ne dort pas. Il imagine. Il pense à Frédéric Staps.
Si ce jeune fanatique exprime les sentiments allemands, alors c’est l’Allemagne qu’il faut séduire, car elle est au coeur de l’Empire. C’est avec la dynastie des Habsbourg qu’il faut conclure cette union familiale qui désarmera peut-être d’autres Staps. D’ailleurs, la soeur aînée du tsar, mon bel allié, s’est mariée le 3 août avec le duc d’Oldenburg, peut-être pour ne pas avoir à se marier avec moi. Quant à sa soeur Anne, on la dit trop jeune .
Il somnole, lit, dicte. Marie Walewska est partie. Les nuits sont longues et fraîches.
À 6 heures, M. de Champagny se présente. Est-ce la paix ?
— Le traité est signé ?
— Oui, Sire, le voilà.
C’est comme si l’estomac, si souvent douloureux, se détendait tout à coup.
Il écoute. L’Autriche pert tout accès à l’Adriatique et trois millions cinq cent mille de ses ressortissants. Ces territoires deviennent le gouvernement général d’Illyrie, rattaché à la France. La Galicie est partagée entre le grand-duché de Varsovie et la Russie. Le Tyrol revient à la Bavière.
— Cela est très bien, c’est un fort bon traité, dit-il.
Il prise, tousse.
Qui respecte les traités ? Il faudra que le mariage entre lui et une princesse de Habsbourg lie
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