[Napoléon 3] L'empereur des rois
verront.
Il ne cédera pas. Il ne pourra plus céder.
Le jeudi 12 octobre 1809, à midi, il traverse la cour d’honneur du château de Schönbrunn pour assister à la parade. À quelques dizaines de mètres la foule se presse derrière les gendarmes. Il se place entre le maréchal Berthier et le général Rapp, son aide de camp, qui, au bout de quelques minutes, s’éloigne, se dirige vers les badauds et les gendarmes qui les contiennent. Il apprécie l’intelligence et le dévouement de cet Alsacien de Colmar que sa connaissance de l’allemand rend précieux sur le champ de bataille. Il peut interroger les prisonniers, les paysans, conduire une négociation. Et c’est aussi un homme courageux qui, à Essling, a chargé à la tête des fusiliers de la Garde.
Rapp, après la parade, s’approche de Napoléon, demande à s’entretenir avec lui. Napoléon le dévisage. Pourquoi cette figure grave ? Il tient à la main un objet enveloppé dans une gazette, qu’il ouvre.
Je vois ce couteau d’un pied et demi de long 1 , tranchant sur ses deux côtés et d’une pointe acérée .
Napoléon recule. Il écoute Rapp raconter comment il a été intrigué par un jeune homme botté portant une redingote de couleur olive et un chapeau noir, qui demandait à remettre une pétition à l’Empereur en personne. Rapp, en voulant l’écarter, a deviné que le jeune homme dissimulait quelque chose sous son habit.
— Ce couteau, Sire.
Le jeune homme, un dénommé Frédéric Staps, avait l’intention de tuer l’Empereur avec ce couteau. Il ne veut s’en expliquer qu’avec l’Empereur.
Il faut toujours faire face à son destin. Il veut voir Staps.
Napoléon entre dans son cabinet, où l’attend Champagny.
— Monsieur de Champagny, dit-il, les ministres plénipotentiaires autrichiens ne vous ont-ils pas parlé de projets d’assassinat formés contre moi ?
Champagny ne paraît pas étonné par la question.
— Oui, Sire, ils m’ont dit qu’on leur en avait fait plusieurs fois la proposition et qu’ils l’avaient toujours rejetée avec horreur.
— Eh bien, on vient de tenter de m’assassiner. Suivez-moi.
Il ouvre les portes du salon.
C’est donc ce jeune homme qui se tient debout près du général Rapp qui voulait me tuer. Il a le visage rond, doux et naïf. Je veux savoir. Rapp traduira mes questions .
Frédéric Staps répond calmement, et cette tranquillité déconcerte. Ce fils d’un pasteur est-il fou, malade, illuminé ? Peut-on, à dix-sept ans, vouloir tuer un homme sans raison personnelle ?
— Pourquoi vouliez-vous me tuer ?
— Parce que vous faites le malheur de mon pays.
— Vous ai-je fait quelque mal ?
— Comme à tous les Allemands.
Est-il possible de le croire lorsqu’il affirme qu’il a agi de sa propre initiative, qu’il n’a ni inspirateur ni complice ? Et cependant on me hait à la cour de Berlin et à Weimar, comme à Vienne. La reine Louise de Prusse, blessée dans sa vanité, est femme à me faire assassiner par un fanatique, comme ce jeune homme au visage angélique et dont l’esprit est celui d’un fou .
— Vous avez une tête exaltée, dit Napoléon. Vous ferez la perte de votre famille. Je vous accorderai la vie si vous demandez pardon du crime que vous avez voulu commettre et dont vous devez être fâché.
Je l’observe. Il n’a qu’un léger tressaillement des lèvres avant de parler .
— Je ne veux pas de pardon, dit-il. J’éprouve le plus vif regret de n’avoir pas réussi.
— Diable ! il paraît qu’un crime n’est rien pour vous ?
— Vous tuer n’est pas un crime, c’est un devoir.
Tant de haine déterminée et tranquille contre moi !
Napoléon regarde Rapp, Savary, Champagny, Berthier et Duroc, qui entourent Frédéric Staps. Ils semblent tous fascinés.
— Mais enfin, reprend Napoléon, si je vous fais grâce, m’en saurez-vous gré ?
— Je ne vous en tuerai pas moins.
Napoléon quitte la pièce.
Cette haine, cette détermination sont-elles celles de tout ce peuple allemand comme elles sont celles du peuple d’Espagne et de ces Tyroliens qui continuent de combattre mes armées ?
Il convoque le général Rapp. Il faut que l’interrogatoire de Frédéric Staps soit poursuivi par Schulmeister. Cet homme habile saura peut-être lui faire avouer le nom de ses inspirateurs et de ses complices.
Rapp persiste à penser que Staps a agi seul.
Napoléon secoue la tête.
— Il n’y a pas
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