[Napoléon 3] L'empereur des rois
en faire fi ! »
Il s’arrête. Il n’aime pas se relire. La pensée court et l’élan justifie l’idée. On ne revient pas sur ce qui a été pensé, fait, écrit.
Il sent bien qu’elle ne va pas aimer cette lettre. Mais le temps entre eux a creusé son sillon. C’est la nature des choses.
Il reprend :
« Joséphine, votre coeur est excellent, et votre raison faible ; vous sentez à merveille, mais vous raisonnez moins bien. »
Il faut qu’elle mesure la distance qu’il y a désormais entre eux.
« Voilà assez de querelle. Je veux que tu sois gaie, contente de ton sort, et que tu obéisses, non en grondant et en pleurant, mais de gaieté de coeur, et avec un peu de bonheur.
« Adieu, mon amie, je pars cette nuit pour parcourir mes avant-postes.
« Napoléon »
7.
Napoléon, du sommet de la colline, domine le ravin. Au-delà d’un pont étroit, dans un petit bois qui cache en partie la ville de Hoff, il distingue les uniformes des grenadiers russes. Il faudrait disposer de pièces d’artillerie pour débusquer ces troupes qui fourmillent sous les branches couvertes de neige. Ils sont là plusieurs bataillons, à n’en pas douter.
Est-ce enfin le début de la vraie bataille ? Depuis une semaine, Bennigsen se dérobe, recule vers Eylau et Königsberg.
« Je pense que nous ne sommes pas éloignés d’une affaire », dit Napoléon.
Mais il n’en est pas sûr. Il a déjà livré bataille à Allenstein. Davout a bousculé les Russes à Bergfride. Il ne s’est agi que d’affrontements limités.
« Je manoeuvre sur l’ennemi, reprend Napoléon en s’adressant à Murat, s’il ne se retire pas à temps il pourrait fort bien être enlevé. »
Il se penche sur l’encolure de son cheval. Il veut accrocher les Russes, les retenir pour les encercler et les écraser. Mais c’est à croire que Bennigsen est au courant de la manoeuvre. Il recule à point nommé. Peut-être a-t-il saisi l’un des courriers envoyés à Ney ou à Bernadotte, qui sont sur l’aile gauche et remontent la rivière Passarge cependant que Davout tient l’aile droite.
— Chargez sans attendre, dit Napoléon à Murat.
La cavalerie légère, hussards et chasseurs, s’élance, puis les dragons du général Klein.
Il faut rester impassible, voir les chevaux et les hommes basculer du pont sous la mitraille, s’abattre dans la neige, glisser sur la glace.
Maudit soit ce pays.
Il l’a écrit à Joseph, qui plastronne dans son royaume de Naples.
« C’est donc une mauvaise plaisanterie que de nous comparer à l’armée de Naples, faisant la guerre dans le beau pays de Naples où l’on a du vin, de l’huile, du pain, du drap, des draps de lit, de la société et même des femmes. »
Ici, rien.
Depuis qu’il a quitté Varsovie, il y a huit jours, Napoléon vit aux côtés des soldats. Il voit. Il entend les plaintes. Du pain, réclament-ils. Et même la paix !
Les ventres sont creux, les paupières sont brûlées par le froid.
« Officiers d’état-major, colonels, officiers ne se sont pas déshabillés depuis deux mois, et quelques-uns depuis quatre, explique encore Napoléon à son frère aîné. J’ai moi-même été quinze jours sans ôter mes bottes… Au milieu de ces grandes fatigues, tout le monde a été plus ou moins malade. Pour moi, je ne me suis jamais trouvé plus fort, et j’ai engraissé. »
Il descend de cheval. Les rescapés des charges se regroupent. Les corps des hommes et des chevaux abattus se sont amoncelés au-delà du pont.
Hoff est un point stratégique. Il commande la route d’Eylau et de Königsberg. Et c’est pour cela que Bennigsen résiste, organise une contre-attaque. Si Hoff tombe, il devra cesser de fuir, accepter la bataille. Enfin.
Napoléon lance un ordre à un aide de camp. Que les cuirassiers du général d’Hautpoul chargent.
Il les voit passer, énormes, serrés dans leurs gilets de fer, avec un casque surmonté d’une houppette et d’une crinière noire. Leurs lourds chevaux à l’énorme poitrail dévalent la pente. Ils s’élancent, le pont tremble, la terre résonne. La mitraille russe les décime mais ils continuent, enfoncent les lignes.
Les bataillons russes s’égaillent dans le bois. Hoff tombe. La route d’Eylau est ouverte. C’est à Eylau qu’on se battra.
D’Hautpoul vient rendre compte, cavalier qui domine Napoléon de sa haute taille.
Napoléon l’embrasse devant les troupes.
— Pour me montrer digne d’un
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