[Napoléon 3] L'empereur des rois
tel honneur, lance d’Hautpoul, il faut que je me fasse tuer pour Votre Majesté.
Napoléon fixe d’Hautpoul.
Cet homme est à moi. Et je dois être digne de lui. Son sacrifice à ma personne est un devoir de victoire et de grandeur dont il me charge .
D’Hautpoul me donne tout de sa vie .
Comme tous ces cavaliers vers lesquels d’Hautpoul se tourne pour clamer :
— Soldats, l’Empereur est content de vous. Il m’a embrassé pour vous tous. Et moi, soldats, moi, d’Hautpoul, je suis si content de mes terribles cuirassiers que je vous baise à tous le cul.
Des vivats résonnent dans le ravin rempli de morts.
C’est la loi de la vie. Jusqu’à aujourd’hui.
Il fait nuit. Le froid est intense. Napoléon va et vient autour d’un brasier allumé par les soldats de sa Garde. Il a les mains derrière le dos. Il vient de traverser Hoff, conquis. Les rues étaient jonchées de morts, les maisons pleines de blessés.
Il murmure :
— La guerre est un anachronisme. Les victoires s’accompliront un jour sans canons et sans baïonnettes.
Il s’assoupit quelques minutes, assis au bord du feu, puis il donne l’ordre d’avancer vers Eylau.
Le jour se lève, clair. Le froid est vif, mais le soleil luit.
Il parcourt le plateau de Ziegelhof, regarde autour de lui, ordonne d’établir son bivouac. La Garde va camper tout autour.
Il prend une prise, parle calmement.
— On me propose d’enlever Eylau ce soir, dit-il au maréchal Augereau, mais, outre que je n’aime pas les combats de nuit, je ne veux pas pousser mon centre trop en pointe avant l’arrivée de Davout qui est mon aile droite, et de Ney qui est mon aile gauche.
Il dévisage les membres de son état-major.
— Je vais donc les attendre jusqu’à demain matin sur ce plateau, qui, garni d’artillerie, offre à notre infanterie une excellente position.
Il pense à Iéna, au plateau du Landgrafenberg.
— Puis, reprend-il, quand Ney et Davout seront en ligne, nous marcherons tous ensemble sur l’ennemi.
Tout à coup, en contrebas, vers Eylau, le bruit d’une fusillade s’amplifie.
La ville s’embrase de toutes parts. Un officier arrive, explique que les fourriers de l’Empereur, avec les caissons et les bagages, sont entrés dans Eylau, se sont installés dans la maison de poste aux chevaux, pensant la ville conquise. Ils ont commencé à préparer le cantonnement de l’Empereur, à faire la cuisine, quand ils ont été attaqués par les Russes. Les troupes du maréchal Soult sont intervenues pour les défendre et les Russes ont contre-attaque. La bataille est générale.
— Il faut aller au feu, dit Napoléon.
Un chef doit encourager les troupes par sa présence. Il monte à cheval, abandonne le bivouac, va s’installer dans la maison de la poste d’Eylau. La Garde l’entoure. Les boulets russes commencent à tomber. C’est la nuit du 7 février 1807.
Le temps change. Le ciel est couvert. Le dimanche 8 février, à 8 heures, les Russes lancent une nouvelle attaque. On se bat dans le cimetière d’Eylau. La neige, brusquement, tombe en rafales épaisses poussées par le vent du nord, qui prend les Français de face.
Napoléon ne bouge pas. Il voit les hommes s’abattre par centaines. Les chevaux morts s’entassent sur les blessés et les cadavres. Les caissons d’artillerie, les charges de cavalerie écrasent les vivants et les morts. Les canons se déchaînent, la terre tremble.
Il faut, il doit lancer les hommes dans cette tourmente. Il voit, devant lui, les troupes d’Augereau disparaître dans la neige, aveuglées.
Tout à coup, une éclaircie. Napoléon se hisse sur un caisson. Il découvre tout le champ de bataille. Des morts à l’infini, du sang qui rougit la neige.
On dépose, aux pieds de Napoléon, Augereau blessé, désespéré. Il ne reste, de ses régiments hachés par la mitraille russe, que quelques hommes.
Il faut garder l’esprit déterminé, ne pas se laisser entamer par la gangrène du désespoir.
Napoléon appelle Murat.
— Nous laisseras-tu dévorer par ces gens-là ? lance-t-il.
Murat donne des éperons. Les escadrons s’ébranlent. La terre tremble encore. Ils sont plus de quatre-vingts escadrons, chasseurs, dragons cuirassiers, à charger. L’attaque russe est stoppée.
Mais où sont les fantassins de Ney ?
Il faut tenir, attendre, refuser de faire donner la Garde.
Napoléon continue d’être debout dans le cimetière aux tombes retournées par les boulets
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