[Napoléon 4] L'immortel de Sainte-Hélène
Ne peuvent-ils aider la Maison impériale à tenir son rang à Sainte-Hélène ? Parce que tenir son rang, c’est résister à ceux qui veulent me réduire à n’être plus rien.
— Je désire pourvoir à tous mes besoins, dit-il, mais si, par une de ces contradictions qui sont le vrai caractère de l’injustice, le gouvernement anglais me refuse le moyen de le faire, j’irai m’inscrire à l’ordinaire des grenadiers, des braves du 53 e régiment. Ils ne refuseront pas l’hospitalité au premier soldat de l’Europe.
Il va se retirer dans sa chambre.
Il murmure à Marchand qui l’aide à se déshabiller :
— C’est la nuit qui est le temps difficile. Je voudrais travailler jusqu’à deux heures du matin et alors dormir. À neuf heures, j’ai sommeil, je dors deux heures, quelquefois une demi-heure, et ensuite me réveille. Les idées de la nuit ne sont pas gaies.
Il tousse. Les jambes, le ventre sont douloureux. Les yeux brûlent et coulent. Il marche avec difficulté. Il monte moins souvent à cheval, se promène en calèche. Mais au diable ces Anglais qui le surveillent ! Que craignent-ils, une évasion ?
Il reste immobile, somnole, puis tout à coup se met à dicter un nouveau chapitre de la campagne d’Égypte ou bien de la campagne de France.
La nuit, il songe.
Si c’était à refaire… Quel roman que ma vie. Si au lieu de l’expédition d’Égypte, j’avais fait celle d’Irlande ! À quoi tient la destinée des Empires ! Que nos révolutions sont petites et imparfaites dans l’organisation de l’univers !
Il tousse encore. La douleur se répand du ventre à la poitrine. Il se lève, fait quelques pas. Les rats s’enfuient. Il veut prendre son chapeau. Un rat énorme, noir, s’en échappe puis traverse la chambre.
L’eau dégouline à travers les plafonds troués. Le linge et les vêtements moisissent.
Il sort. Le temps a déjà changé. C’est la chaleur. Le vent. Il regarde ce plateau au centre duquel Longwood est bâti. Pas un arbre. Pas de source. Pas de pelouse.
Il aperçoit au loin les bâtiments cossus de Plantation House, entourés de verdure. C’est là que s’est installé Hudson Lowe.
Maudit soit cette hyène, qui refuse de me laisser parcourir l’île à ma guise !
Cet homme veut ma mort. Il a pour instruction de me tuer !
Il faut protester, se battre, ne pas céder .
Au capitaine d’une frégate, la Havannah , qui a voulu lui présenter ses respects, qui refuse pourtant de prendre un pli pour l’Europe et qui s’enquiert des désirs de Napoléon, il dit d’une voix forte :
— On veut savoir ce que je désire ? Je demande ma liberté ou mon bourreau. Rapportez ces paroles à votre prince-régent. Je ne demande plus de nouvelles de mon fils, puisqu’on a eu la barbarie de laisser mes premières demandes sans réponse. Je n’étais pas votre prisonnier : les sauvages eussent eu plus d’égards pour ma position. Vos ministres ont indignement violé en moi le droit sacré de l’hospitalité ; ils ont entaché votre nation à jamais.
Combien de jours encore à rester dans cette « île trop petite pour moi, qui, chaque jour, faisais dix, quinze, vingt lieues à cheval ! Le climat n’est pas le nôtre. Ce n’est ni notre soleil ni nos saisons. Tout, ici, respire un ennui mortel. La position est désagréable, insalubre, il n’y a point d’eau. Ce coin de l’île où l’on m’a relégué est désert, il a repoussé ses habitants ».
Il sait bien pourquoi l’on a choisi Longwood, pour pouvoir le surveiller, guetter chacun de ses mouvements, chaque visite.
— Qu’Hudson Lowe m’envoie un cercueil ! Deux balles dans la tête, voilà ce qu’il faut.
Mourir ?
La mort va le prendre ici. Il se sent souvent las. Il grossit. Cet homme bedonnant aux membres maigres dont il aperçoit la silhouette dans un miroir, c’est lui ! Voilà ce que la vie a fait de moi .
Mourir ? Quand ? Comment ? Il y songe chaque jour.
Il ne ressent aucune angoisse, plutôt une sorte de curiosité.
— L’homme ne doit jurer de rien sur tout ce qui concerne ses derniers instants, dit-il à Las Cases.
« Dire d’où je viens, reprend-il, ce que je suis, où je vais, est au-dessus de mes idées, et pourtant tout cela est. Je suis la montre qui existe et qui ne se connaît pas. Mais je puis paraître devant ce tribunal de Dieu, je puis attendre son jugement sans crainte.
Il montre à Las Cases les feuillets que celui-ci a
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