[Napoléon 4] L'immortel de Sainte-Hélène
étouffe les nations !
Moi !
Il cherche l’oreille de Caulaincourt sous son bonnet. Il ne la trouve pas, donne une tape amicale sur la joue et la nuque du grand écuyer. Cet homme n’a pas l’esprit très agile, il s’est laissé berner par Alexandre, il est l’ami de Talleyrand, mais c’est un bon thermomètre des idées toutes faites qui courent l’Europe des bien-pensants !
— C’est l’Angleterre qui m’a poussé, reprend Napoléon, forcé à tout ce que j’ai fait. On dit, et vous le premier, Caulaincourt, que j’abuse de la puissance. J’admets ce reproche, mais c’est dans l’intérêt général du Continent. Si je triomphe de l’Angleterre, l’Europe me bénira. L’Europe ne voit pas ses dangers réels ! On ne crie que contre la France ! On ne veut voir que ses armées, comme si l’Angleterre n’était pas partout aussi et bien plus menaçante.
Il se tait un instant, tente de regarder hors du traîneau. Mais la toile a gelé, les vitres sont recouvertes de glace. Mieux vaut parler. Dire que l’Europe n’a pas accepté la France nouvelle.
Les rois se servent des passions pour combattre les lois plus sages, plus libérales. Voilà le ressort des coalitions contre moi .
Mais tout va changer encore.
— C’est une nouvelle ère, elle amènera l’indépendance.
Il soupire.
— Je ne suis pas plus ennemi qu’un autre des douceurs de la vie. Je ne suis pas un Don Quichotte qui a besoin de quêter les aventures. Je suis un être de raison qui ne fait rien que ce qu’il croit utile. La seule différence entre moi et les autres souverains, c’est que les difficultés les arrêtent et que j’aime à les surmonter, quand il m’est démontré que le but est grand, noble, digne de moi et de la nation que je gouverne.
Il a moins froid. Parler échauffe.
— C’est l’hiver qui nous a tués, murmure-t-il. Nous sommes victimes du climat. Le beau temps m’a trompé. Si j’étais parti quinze jours plus tôt, mon armée serait à Vitebsk. Je me moquerais des Russes et de votre prophète Alexandre !
La voiture ralentit, on approche de Varsovie.
— Tout a contribué à mes revers, dit-il. J’ai été mal servi à Varsovie. L’abbé de Pradt, au lieu de me représenter en grand seigneur, y a eu peur et a fait l’important et le vilain.
Il fait tout à coup arrêter la voiture. Il vient de reconnaître, malgré la glace, le pont de Praga, sur la Vistule.
On est à Varsovie. Caulaincourt explique qu’une halte a été prévue pour quelques heures à l’hôtel d’Angleterre, rue des Saules.
Napoléon veut remonter à pied le faubourg de Cracovie, la plus large des rues de la ville. Il fait trop froid pour que les rares passants s’attardent même si la pelisse de velours vert à brandebourg d’or et le grand bonnet en zibeline attirent l’attention.
— Cette rue, dit-il en marchant d’un bon pas, j’y ai passé autrefois une grande revue.
Il n’a aucune nostalgie. Il se sent joyeux d’être à Varsovie. La vie avance. Et il avance avec elle.
Il entre dans une petite salle basse, située au rez-de-chaussée de l’hôtel d’Angleterre. Caulaincourt veut que l’on garde les volets à demi fermés pour préserver l’incognito. Une servante maladroite s’efforce d’allumer un feu de bois vert, dont l’humidité suinte. La fumée envahit la pièce.
Qu’attend-on ? Il veut déjeuner, voir de Pradt, des ministres du grand-duché de Varsovie, et repartir.
Enfin, l’abbé de Pradt arrive, avec son visage hypocrite, ses servilités de courtisan. Il tente de se justifier de ne pas avoir réussi à lever plus de Polonais pour les envoyer combattre les Russes ! Il prétend qu’il a rencontré les plus grandes résistances à ses appels.
Mais de Pradt cherchait en fait comme tant d’autres à se ménager une « sotte popularité ».
— Que veulent donc les Polonais ? interroge Napoléon. C’est pour eux que l’on se bat et que j’ai dépensé mes trésors. S’ils ne veulent pas faire pour leur cause, il est inutile de se passionner comme ils l’ont fait pour leur restauration !
— Ils veulent être prussiens, murmure de Pradt.
— Pourquoi pas russes ?
Cet abbé de Pradt l’indigne. Ce diplomate a craint les Russes pendant toute la campagne. Il crut les ménager en ne poussant pas les Polonais à s’engager. Il faut le renvoyer.
— Exécutez sur-le-champ cet ordre, dit Napoléon à Caulaincourt.
Il ne reste que quelques
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