[Napoléon 4] L'immortel de Sainte-Hélène
détruirait sa cité ?
On n’incendiera pas Leipzig.
Il franchit le pont sur l’Elster.
Il descend de cheval, place lui-même des officiers le long de la route d’Erfurt. Ils doivent recueillir les isolés, les rassembler. Puis il regarde longuement le défilé des soldats. Ils sont si fourbus qu’ils ne lèvent même pas la tête.
Il s’éloigne lentement vers le grand moulin qui domine les rives de l’Elster. Il s’assied au premier étage, et tout à coup sa tête s’incline sur sa poitrine. Il dort.
Il se réveille en sursaut.
Murat est penché sur lui. Le pont sur l’Elster vient de sauter. N’a-t-il pas entendu l’explosion ? On l’a détruit trop tôt. Des milliers d’hommes sont encore dans Leipzig, d’autres se jettent à la nage pour traverser la rivière. Plusieurs dizaines de canons ne pourront passer le fleuve. Les premiers rescapés racontent que les soldats de la ville n’ont plus de munitions et que les Saxons, les Badois, les Prussiens les égorgent.
Il se tasse quelques minutes. Que des escadrons de cavalerie se rendent au bord de l’Elster pour recueillir ceux qui réussiront à le traverser, ordonne-t-il.
Le maréchal Macdonald, poursuit Murat, a pu nager jusqu’à l’autre rive. On l’a recueilli nu. Mais le général Lauriston se serait noyé. Des soldats criaient à Macdonald : « Monsieur le maréchal, sauvez vos soldats, sauvez vos enfants ! »
Le prince Poniatowski a disparu dans les flots de la rivière.
La mort prend autour de moi, et se refuse à saisir ma main !
Il faut donc continuer à se battre .
15.
Il s’arrête de dicter. Il regarde autour de lui cette pièce familière. Rien n’a changé depuis cinq ans. C’est ici, dans ce palais d’Erfurt, dans ce salon, qu’au mois d’octobre 1808 il recevait Alexandre I er , qu’il rencontrait Goethe, qu’il était l’Empereur des rois. Cinq ans, presque jour pour jour. Mais en ce samedi 23 octobre 1813, l’heure n’est plus aux magnificences et aux parades. Les soldats qui se rassemblent dans les rues d’Erfurt, qui patientent devant les entrepôts pour tenter d’obtenir un uniforme, des vivres, une arme, des munitions, des canons, ne sont plus que les débris d’une armée.
Combien restent-ils, réellement organisés en unités ? Ma Garde. Peut-être vingt mille hommes. Les autres, une vingtaine de milliers encore, sont souvent des isolés qui se traînent, malades, éclopés, blessés, avançant sous cette pluie froide de l’automne allemand .
Combien sont-ils, ceux que j’ai laissés morts dans les marécages et la boue de Leipzig ? ou qui se sont noyés en tentant de traverser l’Elster, ou bien que l’on a égorgés dans les maisons de Leipzig ? Vingt mille, trente mille ? Et même si l’ennemi a perdu le double d’hommes, il peut regarnir ses rangs .
Il me faut des hommes, encore .
Il reprend sa dictée au ministre de la Guerre, « pour ce qui est relatif à une levée de quatre-vingts à cent mille hommes dont j’ai besoin. Quand toute l’Europe est sous les armes, quand partout on lève les hommes mariés et que tout le monde court aux armes contre nous, la France est perdue si elle n’en fait autant ».
Je suis sûr de la volonté de combattre des hommes du rang. Ils ne se sont pas enfuis. Je les ai vus. Mais les généraux, mais les maréchaux, ont perdu leur flamme .
Ney lui-même a prétexté une légère blessure pour quitter l’armée et rejoindre Paris. Mais il ne m’a pas trahi .
Murat, au contraire, avant de commander ses charges à Leipzig, a envoyé un messager aux Alliés pour leur donner son accord à un arrangement politique. Si on lui assure la possession de Rome, il rejoindra le camp de la coalition. Et c’est ma soeur Caroline, son épouse, maîtresse de l’ambassadeur d’Autriche à Naples, qui mène les négociations. Folle d’ambition, prête à tout. Et Murat a, lui aussi, il y a quelques heures, quitté l’armée, sous prétexte d’aller lever des renforts à Naples !
Je me suis tu lorsqu’il est venu, penaud, tremblant mais déterminé, m’annoncer son départ. Il a fui ce salon avant que je puisse lui répondre .
Adieu, Murat !
Je ne dois pas cacher cette situation. Il faut préparer l’opinion, publier un Bulletin de la Grande Armée qui raconte la bataille de Leipzig et explique les raisons de notre retraite .
Il dicte, évoque la destruction prématurée du pont sur l’Elster.
« On ne peut encore
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