[Napoléon 4] L'immortel de Sainte-Hélène
évaluer les pertes occasionnées par ce malheureux événement, indique-t-il. Mais les désordres qu’il a portés dans l’armée ont changé la situation des choses : l’armée française victorieuse arrive à Erfurt comme y arriverait une armée battue. »
Il hésite quelques instants, puis il poursuit :
« L’ennemi qui avait été consterné des batailles du 16 et du 18 a repris par le désastre du 19 du courage et l’ascendant de la victoire. L’armée française, après de si brillants succès, a perdu l’ascendant de son attitude victorieuse. »
Il ne sort pas. Il ne dort pas. Parfois il s’approche de la croisée et regarde passer ces fuyards qui se traînent, épuisés.
Lorsqu’un aide de camp apporte une dépêche, il va lentement jusqu’à lui. Il ne peut y avoir de bonne nouvelle. C’est l’avalanche de la fatalité noire.
Le royaume de Westphalie n’existe plus. Adieu, mon frère Jérôme. Les derniers princes de la confédération du Rhin rejoignent les Alliés. Et après le roi de Bavière, le roi de Wurtemberg fait de même. Adieu, l’Allemagne ! Les armées de Soult fuient l’Espagne et se replient sur Bayonne. Adieu définitivement, l’Espagne !
Il ne ressent ni désespoir ni angoisse. Quand le destin est contraire, ou bien on l’accepte, ou bien l’on meurt ou l’on se bat. Tout le reste est lâcheté. Et il n’a jamais pleurniché sur son sort.
Il demande qu’on lui apporte une grande carte d’Allemagne. Il entoure d’un trait les places fortes tenues par des garnisons françaises. Si ces troupes se replient sur Hambourg, Davout, qui contrôle la place, pourrait avoir à sa disposition cent mille hommes qui rejoindraient le Rhin par l’Allemagne du Nord.
Il marche d’un pas vif dans la pièce. En quelques jours, avec une telle manoeuvre, il pourrait retourner la situation.
Il imagine les coalisés entrant en France, « brûlant deux ou trois de mes bonnes villes. Cela me donnerait un million de soldats. Je livrerais bataille. Je la gagnerais. Et je les mènerais tambour battant jusqu’à la Vistule ».
Rien n’est perdu tant que l’énergie demeure vive en moi .
Il faut qu’il insuffle cette volonté aux armées.
Il écrit au ministre de la Police, qui multiplie les lettres chargées d’inquiétude : « Monsieur le duc de Rovigo, vos alarmes et vos peurs me font rire. Je vous croyais digne d’entendre la vérité. Je battrai l’ennemi plus vite que vous ne croyez. Ma présence est trop nécessaire à l’armée pour que je parte en ce moment. Quand il sera nécessaire, je serai à Paris. »
Il veut conduire ce qui reste de l’armée jusqu’à Mayence. Là, il traversera le Rhin, rejoindra Paris. Il doit rassurer Marie-Louise. « Ma santé est très bonne. Je serai dans peu de jours à Mayence. Je te prie de donner un baiser au petit roi, et de ne douter jamais des sentiments de ton fidèle époux.
« Nap. »
Il quitte Erfurt, galopant le long des colonnes qui marchent sous la pluie d’averse. Des aides de camp annoncent qu’une armée bavaroise et autrichienne commandée par le général de Wrede progresse parallèlement à la route de Mayence, avec l’intention de livrer bataille.
De Wrede ! Ce général a combattu dans la Grande Armée depuis 1805 ! Et c’est cet homme-là qui a l’intention de m’empêcher de passer ! Moi !
Il force l’allure. Un peu avant Schlüchtern, il voit sur la chaussée un groupe imposant d’officiers polonais qui barrent le passage. Ils demandent à lui parler. Il s’avance. L’un d’eux s’approche. Il l’écoute. Ces Polonais désirent rejoindre leur pays. Eux aussi.
Il pousse son cheval vers eux.
— Est-il vrai que les Polonais veuillent me quitter ? lance-t-il.
Les hommes baissent la tête.
— J’ai été trop loin, c’est vrai, continue-t-il. J’ai fait des fautes. La fortune depuis deux ans me tourne le dos. Mais c’est une femme, elle changera ! Qui sait ? Peut-être votre mauvaise étoile a-t-elle entraîné la mienne ?
Les officiers le regardent, étonnés.
— Du reste, avez-vous perdu confiance en moi ? N’ai-je plus de sperme dans mes couilles ?
Les Polonais se récrient.
— Ai-je maigri ? demande-t-il en riant.
Puis, se plaçant au milieu d’eux, il reprend :
— On m’a rendu compte de vos intentions. Comme empereur, comme général, je ne puis que louer vos procédés. Je n’ai rien à vous reprocher. Vous avez agi loyalement
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