Napoléon
pas plus de vingt et un ou vingt-deux vaisseaux devant Brest ». Il n’y a point pour Napoléon – qui donne ses ordres à cinq cents kilomètres de la Bretagne – un moment à perdre ! Il le demande à Ganteaume tout au long de ce mois d’avril1805 : Pourquoi ne sort-il pas du goulet pendant la nuit ? Mais les semaines et les mois passent sans que Ganteaume se risque, ou parvienne à quitter son mouillage.
« Comment est-il possible, lui qui est au fait de tous mes projets, interroge Napoléon stupéfait, qu’il laisse paraître l’ennemi sans faire aucun mouvement ? » Une autre force anglaise se trouve peut-être en seconde ligne, stationnée derrière les frégates, au-delà d’Ouessant ? En ce cas, « comment Ganteaume, reprend l’Empereur, n’a-t-il pas chassé les croisières des frégates, afin de savoir ce qu’il y a derrière ? » Ce sont bien là des ordres de terrien pour qui vents et tempêtes ne doivent pas plus entraver la marche d’une escadre qu’une bonne averse empêcher un corps d’armée d’arriver au cantonnement à l’heure prévue. Cependant, Ganteaume, prudent mais point curieux, se garde bien de quitter le goulet où il se trouve si bien abrité...
Le 6 juillet, Napoléon quitte brusquement – et fébrilement – Gênes pour Paris. Tout en roulant vers la capitale, il demeure hanté par les mouvements que doivent exécuter ses escadres, obéissant aux ordres portés par des corvettes que l’Empereur est très étonné de ne pas voir bondir sur les flots... Puisqu’il lui faut faire son deuil de la concentration martiniquaise, le regroupement devra se faire au large des côtes françaises ! Aussi de Saint-Cloud, le 20 juillet, écrit-il à Ganteaume : « Lorsque vous recevrez cette lettre, nous serons déjà de notre personne, à Boulogne, et tout sera embarqué, embossé hors de rade, de sorte que, maître trois jours de la mer, dans le temps ordinaire de la saison, nous n’avons aucun doute sur la réussite... Si l’ennemi se dégarnit devant vous, c’est qu’il est persuadé que l’offensive doit venir de Villeneuve. Trompez vous-même ses calculs en prenant vous-même l’offensive. »
Quant à Villeneuve, qui doit être maintenant revenu du rendez-vous manqué de la Martinique, il lui indique son plan : dès que la flotte combinée aura fait sa jonction d’une part avec les quinze vaisseaux du contre-amiral Gourdon, stationnés au Ferrol, et d’autrepart, à Brest, avec les vingt et un vaisseaux de Ganteaume,, avec toutes ces forces réunies, il manoeuvrera de manière à bousculer les soixante-dix bâtiments de la croisière britannique qui, dans le Channel, continue à monter la garde et à former une barrière qui, du camp de Boulogne, paraît infranchissable.
En résumé, il le répète, la flotte française devra se rendre maîtresse du pas de Calais, ne fût-ce que durant trois, quatre ou cinq jours... Ces quelques jours que Napoléon mendie presque à ses amiraux, et qui doivent lui permettre – du moins il le pense --d’envahir enfin la perfide Angleterre.
II
LA « PIROUETTE » DE BOULOGNE
Profitez des faveurs de la fortune lorsque ses caprices sont pour vous ; craignez quelle ne change, de dépit : elle est femme.
N APOLÉON .
L ORSQUE , le 3 août, l’Empereur arrive au charmantpetit château de Pont-de-Briques, tout sembleprêt pour l’invasion des îles britanniques. Déjà les premières médailles commémoratives de la descente en Angleterre ont été frappées ! Déjà la troupedu Vaudeville a reçu l’ordre de se préparer às’embarquer, elle aussi, afin de donner des représentations du répertoire français à Londres !... Vingtmillions de cartouches attendent d’être répartiesentre les hommes des « armées des côtes de l’Océan ».Les caisses que les chaloupes et les prames emporteront le jour « J » sont rassemblées. Napoléonl’a décidé : le débarquement – sur un front d’unelargeur de deux cents bâtiments – se fera sur lacôte à treize kilomètres de Douvres, à l’endroitmême où Jules César avait pris terre autrefois. Point de direction : Londres, par Cantorbery et Chatham. Peut-être – car ceci est également prévu, nous apprend Albert Chatelle – les Anglais tenteront-ils « une dernière défense à dix kilomètres de Londres à Bleakheath où Cromwell avait jadis mis en déroute les troupes de Charles I er . Les projets les plus extravagants sont agités. Un
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