Napoléon
l’Allemagne afin de se porter au-devant de la lente concentration des troupes austro-russes. Napoléon n’ignore rien en effet de ce qui se passe derrière l’Inn. Le 5 août, Laforest affirmait à Hardenberg :
— L’Empereur pénètre toutes les vues de ses ennemis et en embrasse d’un coup d’oeil rapide les conséquences les plus éloignées.
Napoléon compte, en effet, prévenir l’attaque des nouveaux alliés et se trouver « à Vienne avant le mois de novembre prochain ». Pour l’instant, l’Empereur s’imagine toujours que le chef de la flotte combinée et Ganteaume ont pu se joindre et que leurs voiles arriveront ensemble, et à temps, devant Boulogne pour participer au grand projet. Malheureusement, le 25 août, il est informé que Villeneuve, après avoir croisé durant treize jours au large des côtes espagnoles, est revenu à Cadix. L’Empereur ne trouve pas de mots pour qualifier cette « conduite infâme ». Tout est désormais perdu ! Comment traverser le pas de Calais, ayant en face de soi l’importante et menaçante croisière britannique ? Sans parler des quarante vaisseaux de Nelson croisant à l’entrée de la Manche qui empêchent toujours Ganteaume de sortir de son triste goulet ! Napoléon établit un nouveau plan : « Dès ce moment, écrit-il à Talleyrand, je change mes batteries... Il s’agit de gagner vingt jours et d’empêcher les Autrichiens de passer l’Inn pendant que je passerai le Rhin... Ils ne s’attendent pas avec quelle rapidité je ferai pirouetter mes deux cent mille hommes. »
Il ne laissera, face à l’Angleterre, que vingt-cinq mille soldats – ce qui sera pleinement suffisant pour éviter toute velléité d’un débarquement britannique.
Bien entendu, l’Empereur ruse et fait répandre le bruit que seulement trente mille hommes de l’Armée des côtes de la Manche vont se diriger vers le Danube :
— Quand j’aurai donné une leçon à l’Autriche, je reviendrai à mes projets.
Et le formidable demi-tour en avant marche s’ordonne avec une précision mathématique. « Les camps de Boulogne, d’Ambleteuse, d’Amiens, de Saint-Omer, racontera le capitaine Aubry, s’ébranlent au son des tambours, des trompettes, des musiques. C’est un brouhaha, un vacarme, un enthousiasme qu’on ne peut imaginer. » Les troupes passent devant Napoléon en criant : Vive l’Empereur ! et en hurlant le Chant du départ de Méhul :
La Victoire en chantant nous ouvre la carrière.
La Liberté guide nos pas !
Le 28 août la Garde se met en route en chantant un air de circonstance composé par le directeur de la troupe du Vaudeville :
Ne soyez pas si contents,
Messieurs de la Tamise.
Seulement pour quelques instants,
La partie est remise...
Et nuit et jour, les hommes marchent vers le Rhin. « Nous inondons les villes et les villages... la joie est sur tous les visages et dans les coeurs. »
L’armée de Boulogne traverse la France – en dormant... « On se tenait par rang les uns aux autres pour ne pas tomber, dira le capitaine Coignet, ceux qui tombaient, rien ne pouvait les réveiller. Il en tombait dans des fossés, les coups de plat de sabre n’y faisaient rien du tout. La musique jouait, les tambours battaient la charge, rien n’était maître du sommeil... »
L’Empereur a tout prévu, tout coordonné, toutréglé, il dicte à Daru, « frappé d’admiration », l’itinéraire des sept torrents qui traverseront le nord de la France et marcheront au bruit « des lourds canons roulant vers Austerlitz ». Lorsque Napoléon, en cours de route, rencontre quelque petite unité égarée, sans consulter la moindre note, il lui indique son gîte d’étape.
De quelles forces au juste va-t-il pouvoir disposer, puisqu’il a dû laisser vingt-cinq mille hommes à Boulogne et cinquante mille en Italie, sous le commandement de Masséna ? La « grande armée » impériale d’Allemagne peut aligner cent quatre-vingt-six mille Français et trente-trois mille Bavarois, Badois ou Wurtembergeois, ses nouveaux alliés. En face, deux cent quarante-cinq mille Autrichiens et Russes, auxquels il faut ajouter cinquante mille Anglais, Suédois et Napolitains qui ont décidé de se mettre de la partie. La disproportion des forces n’effraie pas l’Empereur. Un seul point l’inquiète : la Prusse. Si elle se tourne contre lui Napoléon aura deux cent mille hommes de plus à combattre ! Fort heureusement, en dépit de la pression
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