Napoléon
grimace, puis le roi-citoyen vit les avantages de l’opération : sa popularité pourrait en être augmentée. Il donna son accord. Aussitôt Thiers écrivit à Guizot, alors ambassadeur de France à Londres : « L’Angleterre ne peut pas dire au monde qu’elle veuille retenir un cadavre. Quand on a exécuté un condamné, on rend son corps à sa famille. Et je demande pardon au ciel de comparer le plus grand des hommes à un condamné à mort sur l’échafaud ; mais je veux exprimer à quel point je sens l’indignité qu’il y aurait à ne pas nous rendre les restes de l’illustre prisonnier. »
L’Angleterre – en l’occurrence lord Palmerston – se montra digne par intérêt... Comprenant mal les raisons qui poussaient le roi des Français, le ministre britannique vit dans cette flambée napoléonienne allumée par le retour du corps de Napoléon un moyen d’affaiblir la « monarchie citoyenne » et répondit– patelin : « Le gouvernement de Sa Majesté a la confiance que, si de pareils sentiments existent encore quelque part, ils seront ensevelis dans le tombeau où seront déposés les restes de Napoléon. »
À Paris, le 12 mai 1840, les députés sont en train, en somnolant, de s’enliser dans une discussion sur les sucres, lorsque le ministre de l’Intérieur, M. de Rémusat, monte à la tribune.
— Messieurs, déclare-t-il, le Roi a ordonné à S.A.R. Monseigneur le prince de Joinville de se rendre avec sa frégate à l’île de Sainte-Hélène pour y recueillir les restes mortels de l’empereur Napoléon.
La Chambre qui n’a pas été prévenue reste tout d’abord interdite, muette d’étonnement et de surprise, puis éclate en applaudissements.
— Désormais, poursuit M. de Rémusat, la France, et la France seule, possédera tout ce qui reste de Napoléon. Son tombeau, comme sa mémoire, n’appartiendra à personne qu’à son pays. La monarchie de 1830 est, en effet, l’unique et légitime héritière de tous les souverains dont la France s’enorgueillit. Il lui appartenait sans doute, à cette monarchie qui, la première, a rallié toutes les forces et concilié tous les voeux de la Révolution française, d’élever et d’honorer sans crainte la statue et la tombe d’un héros populaire.
Tandis que le plus grand nombre des représentants se laisse aller à l’enthousiasme en acclamant cette « idée grande et poétiquement belle » et attend avec impatience « l’apothéose », – « le sublime épilogue de la sublime épopée » —, d’autres réagissent selon leur tempérament ou leurs opinions.
Pour Sainte Beuve, « ces os de Napoléon qu’on nous rend, ne sont qu’une manière d’osselets ». Pour la Gazette de France – feuille légitimiste – voir Louis-Philippe tenir « entre ses mains l’urne funéraire de Napoléon » lui paraît, à elle aussi, une jonglerie pénible. Il est vrai, reconnaît-elle, que « le corps d’un ennemi mort sent toujours bon ». Puis ce journal de l’opposition demande : « Quoi ! vous allez glorifier, diviniser Napoléon. Mais vous oubliez que c’est son propre Sénat qui, en 1814, l’a condamné et en quels termes ! »
C’est Lamartine, partisan comme il le disait alors de « la révolution du mépris », qui, descendant du « plafond » où il siégeait, sut en grand poète, exprimer avec le plus d’âme les sentiments des royalistes devant « l’opération » conçue par les ministres du roi. À l’en croire les cendres de Napoléon n’étaient peut-être pas « assez froides pour qu’on y touchât ». Les Anciens ne laissaient-ils pas s’écouler quelque temps entre « la mort des héros et le jugement de la postérité » ? Contrairement à ce que pensaient les ministres, le trône se trouverait rapetissé « devant un pareil tombeau ». Lamartine fit ensuite un « aveu pénible » à la Chambre : Quoique admirateur de Napoléon, il ne se prosternait pas devant sa mémoire.
« Je ne crois pas, poursuivait-il, qu’il soit bon de déifier ainsi sans cesse la guerre, de surexciter ces bouillonnements déjà trop impétueux du sang français, qu’on nous représente comme impatient de couler après une trêve de vingt-cinq ans : comme si la paix qui est le bonheur et la gloire du monde, pouvait être la honte des nations !... »
Où allait-on enterrer l’Empereur ? Certains membres de l’Assemblée préconisaient la colonne Vendôme dont « le bronze
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