Napoléon
d’attendre le cercueil de l’Empereur sur le quai, à la tête de son état-major.
Il est passé minuit, il pleut et un vent froid s’est levé lorsque la délégation entourée de torches et de lanternes, ayant à sa tête Philippe de Rohan-Chabot et le général Bertrand, atteint la vallée du Tombeau. Les travaux commencent et se prolongeront jusqu’à neuf heures et demie du matin. Enfin, la terre enlevée, les dalles retirées, le caveau ouvert, la bière apparaît dans son lit de pierre. Protégé par d’importants travaux de maçonnerie – les Anglais craignaient que l’on ne veuille venir enlever le cadavre de leur prisonnier –, le lourd cercueil d’acajou paraît intact et semble avoir été inhumé la veille. « Les bricoles, précise Rohan-Chabot, qui avaient servi à le descendre étaient restées à côté du sarcophage, et une personne étrangère aux travaux, qui serait survenue dans ce moment, eût pensé sans doute qu’elles venaient d’être déposées dans le tombeau par nos ouvriers mêmes. »
L’abbé Coquereau lit les prières pour la levée du corps, puis douze soldats à l’aide de cordages dégagent la lourde bière et, la posant sur leurs épaules, vont la placer sous une tente. La partie inférieure du cercueil d’acajou ayant paru quelque peu endommagée, on installa le cercueil de plomb dans la bière en bois d’ébène amenée de France, ornée d’N et d’anneaux.
Le général-lord Middlemore arrive au moment où l’on ouvre les cercueils en plomb, puis celui en bois. Enfin la dernière caisse – en fer blanc, qui avait été doublée intérieurement de satin blanc capitonné – apparaît. C’est le sarcophage qui contient les restes de l’Empereur. Lentement, avec d’infinies précautions, Leroux coupe la soudure. Les survivants de la Captivité, ceux qui, prisonniers volontaires, étaient venus partager sur ce roc aride l’exil de leur maître, ne peuvent dissimuler leur affliction. La feuille de fer blanc est enlevée... et, tout d’abord, les assistants ne comprennent pas : le drap de satin s’est détaché de l’intérieur du couvercle et recouvre le corps comme un linceul. En transparence, ils devinent le cadavre. « Malgré le singulier état de la tombe et des cercueils, a écrit l’un des témoins, à peine pouvions-nous, en nous rappelant les circonstances de l’inhumation, espérer de trouver quelques restes informes, dont les parties les moins périssables du costume eussent seules assuré l’identité. Mais quand, par les mains du docteur Guillard, le drap de satin fut soulevé, un mouvement universel de surprise et d’attendrissement a eu lieu et plusieurs des assistants fondirent en larmes : l’Empereur lui-même était devant nous. Les traits de la figure, bien qu’altérés, étaient parfaitement reconnaissables ; les mains merveilleusement belles... » Les cils et les sourcils n’ont pas disparu, sous les paupières entrouvertes se devinent les yeux. Seul le nez a quelque peu perdu de sa forme, les lèvres laissent apercevoir les dents, la peau a conservé l’aspect de la vie. Les ongles ont poussé, les orteils apparaissent à travers les bottes dont les coutures ont cédé.
« Le costume si connu, si souvent reproduit, avait peu souffert, et les couleurs en étaient facilement distinguées ; les épaulettes, les décorations, le chapeau semblaient entièrement conservés ; la pose elle-même était pleine d’abandon et, sauf les débris de la couverture de satin qui recouvraient, comme d’une gaze très fine, plusieurs parties de l’uniforme, nous aurions pu croire Napoléon étendu encore sur son lit de parade... On remarqua même que la main gauche, que le grand maréchal avait prise pour la baiser une dernière fois au moment où l’on fermait le cercueil, était restée légèrement soulevée. Entre les jambes, auprès du chapeau, on apercevait les deux vases qui renferment le coeur et l’estomac... » Ce dernier avait été, en réalité, placé dans une poivrière d’un service de table de l’Empereur.
Protégé par son sépulcre, Napoléon a conservé dans la mort le visage émacié de Bonaparte. Comme à côté de lui Bertrand, Gourgaud et même Marchand paraissent âgés ! {65}
Il y a encore dans le cercueil un vase d’argent aux armes impériales, « un couvert d’argent dito, précise le procès-verbal d’ensevelissement, une assiette dito, six doubles napoléons d’or de France, quatre
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