Napoléon
glorieux » aurait ainsi été « animé par l’ombre du Grand Empereur ». D’autres parlaient de Saint-Denis. Napoléon n’avait-il pas déjà pensé à créer une sépulture impériale dans la basilique des rois ? La majorité penchait pour l’église des Invalides.
— Mais, déclara Lamartine à ses collègues de la Chambre, soit que vous choisissiez Saint-Denis, le Panthéon ou les Invalides, souvenez-vous d’inscrire sur ce monument, où il doit être à la fois soldat, consul, législateur, empereur, souvenez-vous d’y porter la seule inscription qui réponde à la fois à votre enthousiasme et à votre prudence, la seule inscription qui soit faite pour cet homme unique et pour l’époque difficile où vous vivez : A Napoléon seul.
Le Gouvernement choisit avec raison et bon goût les Invalides, mais, par son éloquence, Lamartine fit rejeter les conclusions de la Commission qui souhaitait voir une véritable escadre partir pour Sainte-Hélène et demandait un crédit de deux millions. Finalement les subsides furent ceux demandés par le ministère : un million de francs-or, et, à la Belle Poule, la frégate du prince de Joinville, on se contenta d’adjoindre la corvette La Favorite. Une mission partira avec le fils du roi. À sa tête on placera le jeune comte Philippe de Rohan-Chabot, un diplomate de carrière ami de l’Angleterre et n’ayant aucune attache avec l’Empire. Cette satisfaction donnée aux royalistes, il faudra bien laisser les autres places aux survivants du drame de Sainte-Hélène. Montholon se trouvait alors en Angleterre près du futur Napoléon III et préparait avec lui la malheureuse équipée de Boulogne dont l’épilogue se jouera au fort de Ham. Las Cases, l’auteur du Mémorial, dont la publication en 1822 avait été le départ de la légende napoléonienne, était devenu aveugle et infirme. Il se fera remplacer par son fils Emmanuel, maintenant député et conseiller d’État. À la tête du petit groupe des survivants se trouvait le grand-maréchal Bertrand qui emmènerait avec lui son fils Arthur, né à Sainte-Hélène, et que Mme Bertrand avait présenté à l’Empereur, au lendemain de sa naissance « comme le premier Français entré dans l’île sans la permission d’Hudson Lowe ».
Le dévoué Marchand et l’insupportable Gourgaud, maintenant général de division et commandant l’artillerie de la place de Paris, participaient eux aussi à l’expédition destinée à ramener le corps du proscrit, ainsi que quatre domestiques : Ali, autrement dit Saint-Denis, le maître d’hôtel Pierron, le valet de pied Noverraz, et, enfin, le cocher et piqueur Archambault. On devine l’émotion de ces « Robinsons de la Gloire » – l’expression est d’Octave Aubry – apprenant qu’ils allaient repartir pour aller chercher « leur empereur ». Un aumônier – l’abbé Coquereau – se joindra encore au petit groupe de fidèles, ainsi que deux enfants de choeur et le sieur Leroux, plombier, dont la présence serait indispensable pour l’ouverture et la fermeture du cerceuil.
Le 7 juillet, la Belle Poule, suivie de La Favorite, appareille de Toulon pour Sainte-Hélène. La frégate emmenait dans ses flancs un cercueil en ébène qu’un ex-officier fanatique de la Grande Armée, devenu fabricant de meubles, avait façonné et poli avec amour. Durant le long voyage de trois mois, les officiers du bord, les matelots, ne cessent d’interroger les anciens compagnons de Sainte-Hélène. Peu à peu, ils sont envoûtés par la légende – même le prince de Joinville s’y laisse prendre – et l’émotion finit par s’emparer de tous les passagers. Gourgaud, éternel querelleur, après avoir eu plusieurs altercations avec Emmanuel – comme autrefois avec son père – puis après quelques démêlés à propos de préséance avec l’aide de camp du prince de Joinville, finit par se calmer.
L’expédition fait relâche à Cadix, puis à Madère, et à Santa-Cruz-de-Ténériffe où le prince entraîne ses compagnons vers las Canadas, cet extraordinaire cirque volcanique couleur bleu de Prusse, anneau chaotique à l’aspect lunaire qui entoure le sommet du fameux Teide. Le volcan éteint, toujours recouvert d’une neige immaculée, domine de sa masse triangulaire l’archipel des Canaries dont, en contrebas et au loin, les îles, vues de ce haut belvédère, semblent flotter entre deux eaux dans une brume bleutée et irréelle. C’est
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