Néron
enfant.
L’empereur Caligula, son oncle, à demi allongé, le visage reposant sur sa paume droite, des femmes félines couchées près de lui, frottant leurs corps contre ses cuisses, lui caressant la poitrine, m’a interrogé à mon retour d’Antium.
Le fils d’Agrippine était-il ce serpent dont il fallait écraser la tête avant qu’il ne devienne menaçant ?
Je me suis dérobé. Je n’ai pas parlé de la peau de l’enfant, tachetée comme celle d’un reptile. J’ai évoqué les présages. Caligula a d’abord paru rassuré quand il a su que le nouveau-né s’était présenté par les pieds, signe néfaste. Il a ri, laissant aller sa tête en arrière, offrant son corps aux mains expertes des femmes, puis, tout à coup, il s’est redressé.
— On m’a rapporté que Balbilus, ce fou d’astrologue, était présent à Antium. Sais-tu ce qu’il a dit ?
J’ai répété les propos de Balbilus, qui avait décrit le couronnement solaire de l’enfant.
D’un mouvement violent, Caligula a repoussé les femmes. Il s’est levé et, se mordillant les doigts, il s’est arrêté devant moi et m’a fixé.
— Agrippine a payé Balbilus ! s’est-il écrié. Elle veut que son fils règne sur l’Égypte, le royaume d’Apollon. Alors il lui faut un fils né du Soleil !
Il s’est frappé la poitrine et a repris :
— Mais c’est l’empereur de Rome qui gouverne l’Égypte ! Et le fils d’Agrippine ne sera jamais empereur, entends-tu, Serenus ? Il faudra qu’elle renonce à ses ambitions !
Il a serré le poing, l’a brandi devant moi, puis s’est frappé la cuisse si violemment qu’il en a grimacé, le visage crispé, les mâchoires serrées, le front sillonné de rides.
Il arborait la même expression hostile, au neuvième jour suivant la naissance de l’enfant, quand, dans une salle du palais impérial, on purifia le nouveau-né avant de lui donner son nom.
L’enfant était couché nu dans une vasque de marbre noir.
Le père, Domitius Ahenobarbus, se tenait à quelques pas, bras croisés, le ventre en avant, une moue dédaigneuse exprimant l’ennui ou l’indifférence, comme si cet enfant n’avait pas été son rejeton.
Mais peut-être ne l’était-il pas.
Agrippine, elle, était bien la mère. Elle tenait serré le poignet droit de l’enfant. De l’autre côté de la vasque, Caligula, son frère, avait saisi le poignet gauche. Agrippine avait le visage aussi grimaçant que celui de son frère.
J’ai eu l’impression qu’ils allaient tous deux écarteler l’enfant, tirant chacun sur l’un des bras jusqu’à ce que le frêle corps nu se fende en deux.
Silencieuse, la petite foule assemblée autour de la vasque ne quittait pas des yeux Agrippine et Caligula. J’ai lu l’avidité et la cruauté sur tous ces visages : ils attendaient le début du combat à mort de deux fauves se disputant une même proie.
Seul, en avant du premier rang, Claude, l’oncle d’Agrippine et de Caligula, riait, bouche ouverte, en se balançant d’un pied sur l’autre.
On disait que cet homme élancé avait les jarrets fragiles et qu’il suffisait d’une poussée pour le renverser. Mais on le redoutait. Certains l’incitaient même à se dresser contre Caligula, ce neveu fou, empereur incestueux et criminel, qui ne résistait à aucune de ses passions, de ses envies. Mais pouvait-on faire confiance à l’oncle Claude, tout aussi cruel, et de surcroît ridicule, bafoué par cette épouse, Messaline, debout près de lui dans la salle de la purification, ses cheveux bouclés retombant sur son front, femme à la poitrine lourde, aux hanches larges, aux cuisses qu’on devinait massives. On disait qu’elle les écartait plusieurs fois par nuit pour des hommes différents qu’elle accueillait dans une maison des bords de la via Appia, un vrai lupanar où elle satisfaisait ses insatiables appétits. Et Claude lui était pourtant soumis, acceptant ses trahisons, faisant comme s’il était sûr qu’Octavie, la fille que Messaline lui avait donnée, était de son sang alors que tant d’hommes, gladiateurs, affranchis, jeunes aristocrates, avaient planté leur phallus dans la vulve béante de son épouse !
Sans lâcher le poignet de l’enfant, Caligula s’est tourné vers Claude, puis vers Agrippine.
— Donne à ton fils le nom de Claude, a-t-il dit en s’esclaffant, tout en tirant sur le bras de l’enfant, puis, lâchant le poignet et s’écartant de la
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