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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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table des cuisines. Et l’on pouvait
s’en tailler une part. Les restes des services : à prendre. Hors-d’œuvre
couverts de mayonnaise, jambon fumé, cornichons, et la viande, surtout la
viande. La mère, avant, faisait des ragoûts. Morceaux de lard, abattis de
volaille achetés au poids chez le tripier, viande bouillie. Louise continuait
ces recettes de pauvre, quand la viande mijote longtemps et qu’on perd le goût,
quand elle est grasse, mêlée toujours à la sauce. À l’Hôtel Impérial, Dante
Revelli découvrait la viande saignante, coupée en larges tranches dans des
parties sans os. Il ne l’aimait guère, mais il la mangeait parce que c’était la
viande des riches. Pendant quelques semaines il prit sans mesure. Trop de
galettes salées pendant sept ans, de lentilles et de fayots, de corned-beef, de
pain dur comme du bois, ou bien moisi, trop de vin au goût de saumure, trafiqué
par le cambusier, trop de repas pris alors que le roulis faisait brusquement
déborder la gamelle qu’on n’avait pas le temps de laver. « Je m’en mets
plein la gueule », disait Dante, assis dans les cuisines dont la peinture
blanche laquée brillait. Il irait tout à coup, sans qu’il sache pourquoi,
simplement parce qu’il déboutonnait sa veste, prenait une cigarette, et qu’il
tendait sa tasse pour qu’on la remplisse de café chaud.
    Bouffer, comme ça, à l’œil, c’était une façon de saluer la
vie, d’affirmer qu’on était passé « au travers », alors qu’on aurait
pu y laisser la peau cent fois, corps sans visage du marin porté par les vagues
entre les épaves du navire coulé ; qu’on était là, les avant-bras calés
sur la table de marbre, les jambes allongées sur un sol stable et qu’on les
avait eus. Les Boches ? Non, ceux qui nous avaient envoyés là-bas, ceux
qui voulaient qu’on crève. Pour qui ?
    Dante, les riches, maintenant, il les voyait de près.
Parfois, il entrait dans leur chambre, le soir, parce qu’un interrupteur, la
poire d’une lampe de chevet ne marchait pas. L’armoire de la chambre était
ouverte, il y avait là peut-être dix costumes, des robes. « Tu peux pas
savoir », racontait-il à Violette. C’est à elle, la jeune sœur, qu’il
aimait parler. Le matin, après son service de nuit, quand il retrouvait la rue
de la République après avoir traîné sur les quais, bavardé avec les pêcheurs ou
avec Barnoin qui commençait sa journée et qu’il passait voir, place Masséna, à
la station des taxis et des fiacres devant le casino, Dante ne se couchait pas.
Souvent, il avait dormi dans l’atelier, sur le lit de camp que Lebrun avait aménagé
près des moteurs. Dante s’asseyait dans la cuisine. Le père était parti à la
brasserie. Louise habillait Lucien, Antoine se levait tard, donnait une
bourrade à son frère. « Tu me passes le vélo, je vais être en retard au
chantier. » Dante gueulait, acceptait. Violette arrivait enfin, déjà
prête. Elle se penchait vers son frère, elle l’embrassait. Et Dante riait. « Oh,
Violina ! » disait-il. Elle sentait bon. Belle, cheveux courts, les
oreilles cachées par deux ondulations, la nuque dégagée, des boucles longues,
perles artificielles, seule parure du visage sans maquillage. Elle préparait du
café. Elle disait : « Raconte-moi, qui tu as vu ? » S’il
avait un jour une fille, il aimerait qu’elle soit…
    — Tu es cent fois plus belle, commençait-il. Elles sont
peintes, tout est faux. Je les vois.
    Dans les chambres d’hôtel, Dante dévissait l’interrupteur,
dénudait un fil de cuivre. Gestes machinaux. Ses doigts n’avaient plus besoin
du regard pour se guider. Il plaçait les vis dans sa bouche, remplaçait un
fusible, et parfois, agenouillé contre une plinthe, il observait. Ils parlaient
entre eux, claquaient la porte de la salle de bains, ou bien riaient, debout
sur le balcon. Anglais, Américains, princesses russes en exil, ils
appartenaient à un monde extravagant, lointain. La richesse, Dante croyait
l’avoir connue à la maison Merani où il avait grandi, sa mère à la cuisine, son
père dans la cour attelant la voiture, et le député Merani criait : « Vincente,
tu te dépêches, qu’est-ce tu fous ? » Celle qu’il devinait à l’Hôtel
Impérial paraissait sans mesure, et, dès lors, elle ne l’humiliait pas. Peut-être
la guerre, aussi, les « idées », la certitude que le monde était
injuste, à reconstruire – Le monde doit changer

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